Jusqu’où le déficit du commerce extérieur de la France tombera-t-il ? En 2021, le déficit commercial de la France a atteint un niveau record en s’établissant à 84,7 milliards d’euros, plaçant ainsi la France au tout dernier rang de l’Union européenne. Le chiffre devrait probablement avoisiner les 150 milliards sur l’année en cours. Dans un rapport, la délégation sénatoriale aux entreprises alerte sur ce déficit « historique » et propose dix mesures, stratégiques et opérationnelles, pour remédier à cette situation.
Le déficit abyssal de la balance commerciale, fruit d’une dégradation continue
Depuis 2003, la balance commerciale française, à savoir le solde des échanges de biens, est déficitaire. Le déficit s’est nettement aggravé en 2022. Sur les trois premiers trimestres 2022, la position extérieure de la France plonge : on enregistre un déficit de 81,3 milliards qui pourrait, sur l’année, s’élever à 156 milliards d’euros. Pour la troisième année consécutive le déficit de la balance commerciale s’établira a un niveau inédit.
La balance des services se voit, elle, excédentaire de 36,2 milliards d’euros en 2021 et vient amortir partiellement le déficit des échanges de biens. Entre 2001 et 2021, les exportations de services ont augmenté de 140 % soit deux fois plus que les exportations de biens, passant de 24 % à 33 % des exportations totales. Mais l’excédent du solde des services ne parvient pas à compenser le déficit de la balance commerciale.
La position extérieure de la France continue, elle, de plonger en passant de -709.4 milliards d’euros en 2020 à -801.9 milliards d’euros en 2021. Cette position qui quantifie l’endettement net de la nation vis-à-vis du reste du monde s’élève ainsi à 32,3% du PIB du pays. La Banque de France alerte quant au fait qu’une telle positon rapproche la France du seuil d’alerte de 35% défini par la procédure européenne de déséquilibre macroéconomique.
Les chiffres, vertigineux, interrogent. Comment en sommes nous arrivé là? Par quels moyens la France peut-elle rééquilibrer sa balance commerciale?
Les politiques de désindustrialisation en cause
Si la conjoncture est particulièrement défavorable cette année en raison notamment de l’inflation et des hausses des prix de l’énergie, le déficit de la balance commerciale française ne saurait se résumer à ce contexte, en témoigne l’évolution du déficit depuis 20 ans. Malgré l’excédent dégagé par l’aéronautique (19,7 milliards) et la chimie (15,2 milliards) certains secteurs comme les biens de consommation (déficit de 39,6 milliards) rendent la balance commerciale de l’industrie largement déficitaire. « On peut dire que c’est la faute des prix de l’énergie, mais dans ce cas, on ne réglera jamais le problème » prévient l’un des rapporteur Vincent Segouin. Le problème se révèle bien davantage structurel selon la délégation chargée d’informer le Sénat sur la situation et les perspectives de développement des entreprises françaises.
Ce phénomène résulte principalement de la politique de désindustrialisation assumée par de nombreux gouvernements depuis 40 ans selon le rapport. La situation de l’économie allemande témoigne de la stricte corrélation entre industrialisation et solde de la balance commerciale. En effet, si la part de l’industrie dans le PIB a diminué de 10 points pour la France pour atteindre 13,5 % en 2019 elle s’élève à 24,2 % en Allemagne. Sans surprise la balance commerciale allemande est excédentaire de à 178,4 milliards en 2021. La France, qui n’a aujourd’hui plus sur son sol les savoirs et les savoirs faire pour produire les biens de certains secteurs de l’industrie, se cherche des coupables. La délégation impute la responsabilité de ce déficit à un manque de vision globale dans les stratégies industrielles de l’Etat et des grands groupes. Les rapporteurs font donc de la mise en place d’une stratégie économique globale à l’horizon de 2040 leur première mesure.
La ré-industrialisation: des bénéfices multiples.
Autre conclusion du rapport: les effets néfastes de la désindustrialisation engagée depuis des décennies ne sont pas circonscrits aux secteurs industriels mais se propagent même aux services. En détaillant l’interdépendance entre service et industrie le rapport s’inquiète à l’avenir « d’une délocalisation des services » qui pourrait être évitée à condition d’une ré-industrialisation le pays. En ce sens, la délégation incite dans sa quatrième proposition à « mieux intégrer la question des services dans la lutte contre les délocalisations ».
« 80 % des appels d’offres en Allemagne vont à des entreprises allemandes, contre 18 % en France »
s’indigne un des rapporteurs.
Plus de chauvinisme économique
Les entreprises françaises ne rencontrent pas un clair soutient des acteurs publics. Lors de leur appels d’offre les acheteurs publics privilégient quasi-exclusivement le moins-disant. Sont ainsi occultés d’autres critères sur lesquels les entreprises françaises sont performantes comme la qualité ou la durabilité. La crise sanitaire a mis en évidence cette incohérence.
Pour que la France cesse de subir l’insuffisante performance de ses exportations et cesse de dépendre de ses importations, la délégation sénatoriale a formulé 10 propositions dont quatre sont stratégiques et les suivantes opérationnelles.
- Définir, via une loi d’orientation économique pour la France, une stratégie à long terme -2040 a minima- pour définir les objectifs en matière de commerce extérieur et de souveraineté économique et identifier les secteurs, les compétences et les entreprises à soutenir.
- Rénover la gouvernance du Conseil stratégique de l’export -CSE- afin de piloter efficacement la stratégie nationale, en intégrant les objectifs du commerce extérieur dans les différentes politiques publiques ayant un impact sur la balance commerciale, et en assurant la bonne coordination entre ces politiques.
- Renforcer la coordination entre les membres de la Team France Export (TFE) et présenter les résultats de son action devant le conseil stratégique de l’export rénové
- Mieux intégrer la question des services dans la lutte contre les délocalisations
- Faciliter la transmission d’entreprise et soutenir les PME et ETI pour encourager les relocalisations et réindustrialiser la France
- Inciter les entreprises à « chasser en meute »
- Organiser une campagne d’information sur les offres d’accompagnement des PME et ETI proposées par les membres de la Team France Export et rendre gratuite pour les entreprises françaises la participation aux salons internationaux
- Renforcer l’apprentissage des langues et les connaissances en économie, mathématiques, technologies et commerce international dans l‘enseignement secondaire et supérieur
- Mieux identifier les risques de vulnérabilités d’approvisionnement en utilisant les données douanières européennes
- Définir le contenu, le cadre et les règles éthiques de constitution et de fonctionnement d’une base de données française qui permettra, avec l’intelligence artificielle, d’accompagner finement les PME françaises à l’export. Confier à l’un des acteurs de la TFE la gestion de cette base dans le respect des règles en matière d’intelligence économique