La démocratie a rendu son verdict dimanche 30 octobre dernier au Brésil : le president sortant d’extrême-droite Jair Bolsonaro a perdu l’élection suprême d’une courte marge face à son rival et ancient syndicaliste Luiz Inacio Lula da Silva. L’équipe de l’ASFE s’est entretenue avec Hugo Aguilaniu, référent ASFE résidant à Rio de Janeiro, sur ce sujet.
Le mandat présidentiel de Bolsonaro s’est achevé comme il a commencé : dans la tumulte et la fureur. De nombreux blocages routiers ont eu lieu sur les routes brésiliennes, des milliers de personnes se sont retrouvées dans les rues afin de contester ce résultat, l’ancien président a également pris son temps pour accepter sa défaite. Pouvez-vous nous donner plus d’éclaircissements sur la situation actuelle au Brésil ?
Comme prévu, la défaite de Jair Bolsonaro ne s’est pas déroulée de manière apaisée. Ceci étant, l’expérience du Trumpisme aidant, les institutions Brésiliennes étaient préparées. Dès que les résultats de l’élection ont été connus, le tribunal électoral, le tribunal suprême, les président du sénat et de la chambre des députés se sont rapidement manifestés pour valider le résultat des élections. Les appels de présidents étrangers comme Biden ou Macron ont aussi permis de légitimer le résultat des urnes et Bolsonaro n’a eu que peu d’espace pour contester quoi que ce soit. Le mouvement populaire des camionneurs a été contenu en quelques jours et la transition est déjà en cours.
Entre la multiplication des fausses informations véhiculées sur les réseaux sociaux et l’influence grandissante des pasteurs évangéliques ultraconservateurs, les électeurs ont eu beaucoup de difficultés quand il s’agissait de démêler le vrai du faux. Comment pouvez-vous expliquer le fait que cette campagne présidentielle ait été extrêmement perturbée ?
En effet, la bataille du camp Bolsonariste et du Parti Travailliste (dans une moindre mesure) a été féroce et ils n’ont pas hésité à utiliser toutes les ressources à leur disposition. Étant donné la polarisation extrême dans le pays, les éléments de programme politiques sont rapidement passés à la trappe pour ne laisser place qu’à des attaques frontales d’un candidat contre l’autre. Á ce petit jeu, la machine Bolsonariste est bien meilleure. Heureusement, Alexandre de Moraes, président du tribunal électoral a traqué sans cesse les fausses informations durant les campagnes, tentant de maintenir un certain équilibre. Dans la dernière semaine, Lula s’est vue attribué 600 droits de réponses à de fausses informations.
Le bolsonarisme est très ancré au Congrès ainsi que dans de nombreux Etats du géant sud-américain. Pensez-vous que Lula réussira à marquer de son empreinte ce nouveau mandat présidentiel ?
Il est encore trop tôt pour le dire. Mais nous avons des éléments pour réfléchir. D’abord, Lula a toujours fait preuve de beaucoup de diplomatie et est souvent parvenu à faire parler entre eux des politiciens a priori opposés. Ensuite, les politiciens au Brésil sont relativement opportunistes. Il n’est pas rare que les hommes politiques changent plusieurs fois de partis et un grand nombre de partis sont dit du « centrão », qui sont des partis qui gagnent du pouvoir et de l’influence en faisant de alliances, sans idéologie marquée. Il n’est donc pas impossible que Lula parvienne à gouverner. L’inconnue de cette équation, c’est le nombre de députés ou gouverneurs qui sont idéologiquement bolsonaristes. Nous ne saurons cela qu’avec le temps.
A 77 ans et après un passage en prison, Lula réalise un des plus spectaculaires retours au pouvoir de l’histoire du Brésil. De quelle manière sa victoire est-elle perçue par les Français résidant à Rio de Janeiro ?
Il me semble que la communauté Française est majoritairement à faveur de Lula, mais il existe aussi de nombreuses personnes qui ont développé un sentiment anti-Lula en raison des grands scandales de corruptions qui ont entachés ses gouvernements (au même titre que les Brésiliens d’ailleurs). Lula lui-même n’a plus de comptes à rendre à la justice parce que le juge qui avait déterminé sa prison (et qui est devenu le premier ministre de la justice de Bolsonaro) a été jugé partial et ses procès ont donc été annulées pour vice de forme. S’il n’est donc pas condamné, il n’a pas non plus été formellement innocenté. Une grande partie de l’adhésion a Bolsonaro est clairement liée à cela. Ceci étant, le sentiment le plus ample est que Lula est le candidat du camp démocrate.
Dans son discours, Lula a promis de restaurer la « paix » et l’« unité ». Selon vous, quelles seront les premières actions politiques menées par le nouveau président de gauche ?
Les premières mesures annoncées sont l’augmentation réelle du salaire minimum, la révocation des lois bolsonnaristes sur le port d’arme et le renforcement de la défense de l’environnement. Il est bien sur très attendu sur la question économique en interne, mais, à l’international, l’enjeu de son mandat est bien environnemental. Sa gestion de l’Amazonie et sa capacité à garantir la préservation pérenne de la forêt et de sa biodiversité sera centrale. Le Brésil a les moyens de devenir la plus grande puissante verte au monde, inventant des solutions innovantes et développant une économie verte. Lula a donc une grande responsabilité entre les mains.
Entre un fou à lier, et un ancien syndicaliste pas clair, le Brésil où j’aurais voulu rester après mon expatriation (ancienne maintenant) est comme l’Afrique Noire qui était mal partie.