Par Belgin Ozdilmen, avocate et représentante ASFE-Turquie
La France et la Turquie ont conclu une convention fiscale en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôt sur le revenu en date du 18 février 1987 (la « Convention »). Comme toutes les conventions fiscales, celle-ci a pour objectif principal de faciliter les échanges et les investissements transfrontaliers par l’élimination des entraves fiscales à ces activités. Cet objectif principal est complété par d’autres objectifs tels que l’élimination de la double imposition, la prévention de la fraude et de l’évasion fiscale ou double non-imposition, l’élimination de la discrimination à l’égard des nationaux étrangers et des non-résidents ou encore faciliter la coopération administrative entre les Etats contractants.
Ainsi, est réglé par la Convention le sort de l’imposition des revenus immobiliers ayant leur source dans un Etat contractant lorsque le contribuable est résident de l’autre Etat contractant. Concrètement, il s’agit de Monsieur X qui est résident d’un Etat contractant et qui détient un bien immobilier situé dans l’autre Etat contractant et celui-ci perçoit des revenus à raison de la location de cet immeuble. Le principe posé est simple ; les revenus tirés d’un bien immobilier sont imposables dans l’Etat du lieu de situation de l’immeuble (I). C’est donc cet Etat qui appliquera les règles de son droit interne aux revenus immobiliers (II).
I. L’imposition des revenus immobiliers par l’Etat de la source
Ce sont les dispositions de l’article 6 de la Convention qui répondent aux nombreuses questions soulevées en ce qui concerne l’imposition des revenus immobiliers tirés par un bien immeuble situé dans un Etat contractant lorsque le contribuable est résident de l’autre Etat contractant. Ainsi, sont tracés les contours de la notion de biens immobiliers (A), sachant que le lieu de situation de celui-ci détermine l’Etat compétent pour imposer les revenus qui en découlent (B).
A. Détermination de la notion de biens immobiliers
La Convention ne définit pas la notion de biens immobiliers et se réfère au droit de l’Etat où le bien est situé. En effet, le paragraphe 2 de l’article 6 dispose :
« L’expression « biens immobiliers » a le sens que lui attribue le droit de l’Etat contractant où les biens considérés sont situés. (…) ».
Un tel renvoi au droit étatique permet de réduire les difficultés d’interprétation quant à savoir si un bien doit être considéré ou non comme un bien immobilier.
En droit turc, la notion de biens immobiliers (en turc, « gayrimenkul » ou « taşınmaz », ces deux termes pouvant être traduits littéralement « ne pouvant être déplacés ») est indirectement définie à l’article 704 du Code civil Turc :
« L’objet de la propriété immobilière est :
1. le terrain;
2. les droits permanents et indépendants enregistrés sur une page séparée au registre foncier;
3. les espaces indépendants [en turc « bağımsız bölüm »] enregistrés au registre de copropriété [en turc « kat mülkiyeti kütüğü »].
Par exemple, les terrains, les bâtiments, les sources minérales ou encore les mines sont considérés comme des biens immobiliers en droit turc[1].
En droit français, les biens immeubles sont définis aux articles 517 à 526 du Code civil. Ainsi, l’article 517 du Code civil dispose : « les biens sont immeubles, ou par leur nature, ou par leur destination, ou par l’objet auquel ils s’appliquent ». Le législateur français distingue donc trois catégories de biens immeubles :
- les immeubles par nature : il s’agit du sol et de tout ce qui est fixé au sol[2],
- les immeubles par destination : il s’agit de biens pouvant être déplacés mais qui sont affectés à un immeuble par nature dont ils constituent l’accessoire[3],
- les immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent : ce sont exclusivement des biens incorporels comme un droit d’usufruit sur un immeuble.
Toutefois, la Convention ne s’en remet pas intégralement au droit de la Turquie ou de la France pour définir la notion de biens immobiliers et énumère les biens et droits qui doivent toujours être considérés comme biens immobiliers :
« (…) L’expression [« biens immobiliers »] comprend en tous cas les accessoires, le cheptel mort ou vif des exploitations agricoles et forestières, les lieux de pêche, les droits auxquels s’appliquent les dispositions du droit privé concernant la propriété foncière, l’usufruit des biens immobiliers et les droits à des paiements variables ou fixes pour l’exploitation ou la concession de l’exploitation de gisements minéraux, de sources et d’autres ressources naturelles (…) ».
Et, inversement, la Convention précise que les navires et aéronefs ne peuvent pas être considérés comme des biens immobiliers.
Enfin, le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention qui pose le principe général d’imposition, assimile les revenus des exploitations agricoles ou forestières aux revenus tirés de biens immobiliers. Cela permet d’étendre la portée de l’article 6 aux revenus tirés d’activités agricoles ou forestières ; il peut s’agir non seulement des revenus qu’une entreprise agricole ou forestière tire de la vente de sa production agricole ou forestière mais également d’autres revenus tels que les revenus tirés de l’acquisition ou de l’échange de permis d’émission lorsque cette acquisition ou cet échange fait partie intégrante de l’exercice de l’activité agricole ou forestière de l’entreprise.
B. Le lieu de situation du bien immobilier comme critère de rattachement pour l’imposition des revenus immobiliers
La règle est posée au paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention en ces termes :
« Les revenus qu’un résident d’un Etat contractant tire de biens immobiliers (y compris les revenus des exploitations agricoles ou forestières) situés dans l’autre Etat contractant, sont imposables dans cet autre Etat. »
C’est donc l’Etat de la source, autrement dit l’Etat dans lequel est situé le bien immobilier à l’origine des revenus, qui se voit reconnaître le droit d’imposer. Cela s’explique par l’existence d’un lien économique très étroit entre la source du revenu et l’Etat de la source. Il est aussi possible de faire un parallèle avec le droit international privé qui traditionnellement rattache l’immeuble à la loi du lieu de sa situation – la lex rei sitae –, règle qui est admise par l’ensemble des Etats du monde pour des raisons de simplicité et de sécurité juridique.
Les revenus immobiliers font partis des catégories de revenus qui échappent au principe selon lequel un résident au sens de l’article 4 de la Convention est assujetti à l’impôt sur le revenu dans son pays de résidence à raison de l’ensemble de ses revenus.
L’article 6 de la Convention concerne uniquement la situation dans laquelle un résident d’un Etat contractant tire des revenus de biens immobiliers situés dans l’autre Etat contractant. Il ne traite donc pas des revenus de biens immobiliers situés dans l’Etat contractant où le bénéficiaire réside.
II. L’application des règles de droit interne en matière d’imposition des revenus immobiliers
Les dispositions de l’article 6 de la Convention n’impacte pas sur l’application des règles du droit interne qui déterminent la façon dont les revenus des biens immobiliers seront imposés. Lorsque le bien immeuble est situé en Turquie, les autorités fiscales turques pourront appliquer les règles de droit interne pour imposer les revenus qui en découlent (A). De la même façon, la France imposera les revenus immobiliers des biens immeubles situés sur son territoire conformément à son droit interne (B).
A. Par la Turquie
Il s’agit d’une personne physique qui, par exemple pendant son expatriation en Turquie, a acquis un appartement à Istanbul et qui l’a loué une fois de retour en France où elle est désormais domiciliée fiscalement. Les revenus locatifs qu’elle perçoit seront soumis à une imposition en Turquie.
Cette imposition se fera suite à une déclaration annuelle. Ainsi, les revenus locatifs de biens immobiliers pour l’année 2020 devront faire l’objet d’une déclaration avant le 31 mars 2021. Toutefois, si le montant total des loyers perçus par le propriétaire d’un local d’habitation est inférieur à 6.600 livres turques, celui-ci ne déposera pas de déclaration à fin d’imposition[4].
L’impôt sur le revenu pour l’année 2020 sera calculé selon le barème progressif suivant :
Tranche des revenus (en livre turque) | Montant fixe de l’impôt (en livre turque) | Taux d’imposition |
Jusque 22.000 | 15% | |
Jusque 49.000 | 3.300 pour le montant de 22.000 | + 20% pour le reste |
Jusque 120.000 | 8.700 pour le montant de 49.000 | + 27% pour le reste |
Jusque 600.000 | 27.870 pour le montant de 120.000 | + 35% pour le reste |
Au-delà de 600.000 | 195.870 pour le montant de 600.000 | + 40% pour le reste |
Le droit turc permet le paiement de l’impôt sur le revenu en deux mensualités. Ainsi, il est possible de réaliser le paiement de la première mensualité jusqu’au 31 mars 2021 et le paiement de la deuxième mensualité jusqu’au 2 août 2021.
B. Par la France
Il s’agit par exemple d’une personne physique qui est domiciliée en Turquie et qui détient plusieurs logements loués dans différentes villes de France. Les revenus locatifs qu’elle perçoit sont soumis à l’imposition en France. Si ces logements sont loués non meublés, les revenus locatifs qui en résultent seront imposables à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus fonciers. Et, dans le cas de logements loués meublés, les revenus tirés d’une telle activité relèveront du régime des bénéfices industriels et commerciaux.
Pour ce qui est des revenus de location non meublée, contrairement à d’autres revenus courants (salaires, traitements, pensions, etc.), il existe deux régimes d’imposition, à savoir :
- le régime micro foncier qui s’applique uniquement lorsque le montant des revenus fonciers est inférieur à 15.000 Euros par an. Ce régime permet au contribuable de bénéficier d’un abattement de 30% sur la base imposable. Toutefois, il ne sera pas possible de déduire les charges pour leur montant réel. Le contribuable n’est pas dans l’obligation d’être soumis à ce régime et peut opter pour le régime réel qui peut s’avérer plus intéressant lorsque les charges déductibles dépassent l’abattement de 30%;
- Le régime réel qui concerne les revenus fonciers au-delà de 15.000 Euros.
Comme en Turquie, les revenus immobiliers de source française font l’objet d’une déclaration annuelle.
[1] Article 70 de la Loi numéro 193 sur l’impôt sur le revenu,
[2] Article 518 Code civil français: « Les fonds de terre et les batiments sont immeubles par leur nature » et article 519 du Code civil français: « Les moulins à vent ou à eau, fixés sur piliers et faisant partie du bâtiment, sont aussi immeubles par leur nature »,
[3] Exemples: les animaux affectés à l’exploitation d’un fonds agricole, les tableaux scellés dans un mur, etc.
[4] Cette exception est tres encadrée et pose de nombreuses conditions.
Bonjour et merci pour vos précisions.
Est-ce qu’il est possible d’échanger via une messagerie afin de vous poser quelques questions ?
Vous remerciant par avance
Bonjour,
Bien sûr, vous pouvez nous écrire à l’adresse suivante: contact@alliancesolidaire.org
Bonjour,
Un résident fiscal français louant ou vendant un bien détenu en Turquie sera donc imposé uniquement en Turquie ? Une quelconque déclaration est elle nécessaire auprès des autorités fiscales françaises ?
Je vous remercie.