L’équipe de l’ASFE a eu l’opportunité de s’entretenir avec M. Sébastien Turcaud, assistant à la coordination nationale au sein de l’association la Voûte Nubienne (AVN). Cette dernière est spécialisée dans la construction durable en Afrique sahélienne. Les missions d’AVN sont reconnues à l’échelle internationale dans de nombreux domaines (environnement, développement durable, entrepreneuriat social et développement économique, etc. ). L’association a notamment reçu le grand prix de l’innovation urbaine – Le Monde Cities – en 2020
Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre parcours, qu’est-ce qui a déclenché votre expatriation au Burkina Faso ?
Le destin ? J’ai 34 ans, je suis franco-allemand, ingénieur génie civil de l’École Nationale des Ponts Paristech à Paris en France et docteur en biomatériaux de l’Institut Max Planck des Colloïdes et Interfaces à Potsdam en Allemagne. À l’issue des mes études, j’étais toujours en quête d’une vocation et c’est lors d’une visite à mon père médecin en poste au Tchad que l’Afrique m’a « prise aux tripes ». Les contrastes entre la richesse de la nature et les conditions de vie souvent difficiles d’une grande partie de la population m’ont amené à m’intéresser à ce qui je pense sera pour toujours mon domaine professionnel : le développement. Cette discipline me permet de valoriser à la fois mes études d’ingénieur et l’état d’esprit de la recherche au service d’impacts sociétaux et sociaux forts. Après près d’un an passé au Tchad et quelques mois en Éthiopie, j’ai effectué un court séjour au siège de l’Association de la Voûte Nubienne en France et intégré l’aventure de la Voûte Nubienne au Burkina Faso en septembre 2018.
L’Association la Voûte Nubienne (AVN) a été créée en 2000 par un maçon français, Thomas Granier, et un paysan burkinabè, Séri Youlou. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette ONG ?
AVN a pour ambition de faire émerger un marché de la construction durable en Afrique sahélienne porté par la diffusion au plus grand nombre d’un concept architectural antique, la technique de la Voûte Nubienne (VN). A l’origine, il s’agit d’un pari qu’ont fait deux hommes de raviver cette technique en pleine brousse burkinabè. Vingt ans plus tard, on compte aujourd’hui plus de 6’000 VN et près de 1’000 personnes actives sur le marché VN réparties dans six pays d’implantation (le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal, le Bénin, le Ghana, la Mauritanie…), avec un budget annuel global avoisinant les 1,5 M€ et de nombreuses reconnaissances relatives au concept technique et à la méthodologie de diffusion à l’échelle internationale.
Quels sont les principaux avantages de ce procédé architectural ?
On peut considérer les VN comme des construction biomimétiques. Contrairement à l’homme, la nature arrive à résoudre des problèmes complexes en n’utilisant que les « moyens du bord », c’est à dire des matériaux locaux transformés à température ambiante avec une faible consommation d’énergie et pas de déchets. Pour s’en persuader il suffit d’étudier les systèmes vivants, comme les guêpes maçonnes par exemple ! La technique VN permet de réaliser des constructions respectueuses de l’environnement (avec des émissions carbones négligeables), qui protègent de la pluie, du vent et du soleil (chaleur et fraîcheur), en créant de nombreux emplois locaux tout en renouant avec l’identité architecturale africaine ancestrale. Tout cela en utilisant exclusivement des matériaux locaux (de la terre, des pierres et de l’eau) faiblement transformés, ce qui en combinaison avec la création de savoir-faire locaux induit mécaniquement un renforcement de l’économie locale.
Au-delà du confort thermique et acoustique passif des VN particulièrement adaptées au climat sahélien, le choix fondamental d’AVN d’utiliser le marché comme vecteur de diffusion permet l’émergence d’une filière d’emplois verts, au sein du marché croissant de la construction écologique au Sahel.
Quelle est l’origine et la nature des matériaux utilisés ? Quelles sont les principales étapes de construction ?
Les matières premières de base utilisées pour la construction VN sont les cailloux sauvages, la terre crue et l’eau. La terre crue, mélange de sable et d’argile, est piétinée puis moulée en briques séchées au soleil qu’on appelle aussi adobe ou banco. Une fois le terrain identifié et les matériaux mobilisées, on réalise une fondation en béton cyclopéen (cailloux sauvages noyés dans de la terre) sur laquelle s’élèvent des murs de briques qui soutiennent la voûte réalisée sans coffrage. Viennent ensuite les contreforts et la toiture terrasse. Enfin, plusieurs types de finitions existent pour les murs (intérieurs et extérieurs) et pour la toiture, de la terre crue à l’état brut jusqu’aux briques latéritiques taillées en passant par des enduits bitumeux ou le ciment.
Le marché « Voûte Nubienne » concerne quelle catégorie de la population ?
Il s’agit d’un marché inclusif à fort potentiel d’impact distributif sur tous les niveaux de la société. Du côté de l’offre, la filière de construction écologique émergente comprend les producteurs, les manœuvres, les apprentis, les maçons, les artisans-maçons, les techniciens jusqu’aux ingénieurs, architectes et chercheurs, suivant un schéma pyramidal. Du côté de la demande, la clientèle suit le même principe, avec les bâtiments privés ruraux, les bâtiments privés urbains et les bâtiments communautaires. Il s’agit d’un tout cohérent, et les segments de marchés doivent se renforcer entre eux ! Le socle de la pyramide, composé de paysans-maçons réalisant des habitations basiques en milieu rural de manière informelle, forme le segment majoritaire du marché, mais l’apex de la pyramide tire le socle vers le haut en apportant des chantiers complexes et formels à forte valeur ajoutée.
Comment parvenez-vous à convaincre la population locale de réaliser ce type d’habitations ? Comment travaillez-vous avec eux ?
Comme évoqué, les populations locales forment le socle à la base de la pyramide du marché VN et elles en sont les principales bénéficiaires (plus de 80 % de l’offre et de la demande sont des maisons paysannes réalisées par des paysans-maçons). L’organisation d’AVN suit le même schéma, avec à la pointe un siège international basé à Ganges en France, au milieu des coordinations nationales au niveau des cinq pays d’implantation, qui contrôlent plusieurs antennes régionales. Le tout repose sur un terreau composé d’organisations communautaires de base (organisations de paysans, d’artisans, de femmes, etc.), qui constituent les partenaires opérateurs aux échelles régionales et communales. Celles-ci permettent de multiplier les territoires de diffusion du marché VN, favorisent l’ancrage durable au niveau local et accroissent le potentiel d’action d’AVN dans des contextes difficiles (crise sécuritaire et sanitaire).
Vous agissez en faveur de la population locale africaine sahélienne en proposant une nouvelle méthode architecturale plus durable et écoresponsable. Cependant, vos actions ne s’arrêtent pas là. Vous proposez également différentes formations à l’égard des personnes intéressées par les métiers de la construction ?
Il est important de distinguer AVN, association à but non lucratif qui a pour but de promouvoir l’émergence et la croissance du marché de la construction durable au Sahel, et les acteurs de la construction, informels et formels, qui émergent et se positionnent sur ce marché naissant grâce aux actions d’AVN. AVN est l’huile du moteur et peut temporairement jouer le rôle de certains rouages manquants, mais nous ne sommes pas le moteur lui-même !
Quelles difficultés rencontrez-vous dans la réalisation de votre projet ?
L’ambition qui anime AVN se heurte forcément à de nombreuses difficultés, mais chaque épreuve est une occasion de s’améliorer, les plus grands obstacles se transformant souvent en tremplin pour la suite. A titre d’exemples on peut citer en vrac, l’inertie importante des mentalités en ce qui concerne le matériau terre, les difficultés inhérentes à la formation de jeunes déscolarisés et les défis en termes de mobilisation de partenaires financiers pour les différents pans du programme. Le droit a un habitat décent est un droit humain fondamental. Les outils financiers de la compensation, de la micro-finance et de l’adaptation doivent être sollicités davantage pour assurer ce droit au plus grand nombre et encourager une croissance verte.
Pensez-vous, un jour, élargir le concept au-delà des frontières africaines ?
Si l’on regarde en arrière, on se réjouit du chemin parcouru depuis les débuts d’AVN. Si l’on regarde devant et qu’on contemple l’ambition de faire émerger un marché de la construction écologique de Dakar à Djibouti, on est intimidé devant la grandeur de la tâche restante. Les VN sont particulièrement adaptées à la bande soudano-sahélienne, mais d’autres solutions biomimétiques existent pour d’autres parties du globe, il faut s’inspirer de la nature !
Quelles sont vos perspectives pour la suite ? Vous êtes-vous installé définitivement au Burkina Faso ?
Siège historique d’AVN, mon pays d’adoption par mariage depuis peu, il est probable que le Burkina Faso demeure la base à partir de laquelle je pourrais contribuer à consolider le programme d’AVN et je l’espère œuvrer à l’ouverture de nouveaux pays en Afrique de l’Ouest et en l’Afrique Centrale. C’est Dieu qui est fort !