La question du renoncement volontaire à la nationalité française, longtemps considérée comme marginale, suscite un intérêt croissant à mesure que la mobilité internationale des citoyens s’intensifie. En interpellant le ministre de l’Intérieur sur ce sujet, la sénatrice Sophie Briante Guillemont a souhaité lever le voile sur un phénomène encore largement méconnu : combien de Français choisissent, chaque année, d’abandonner leur nationalité, et dans quelles conditions ?
Perdre la nationalité française : un cadre juridique strict
La perte volontaire de la nationalité française peut intervenir selon deux mécanismes :
- par déclaration, dans plusieurs situations prévues par le code civil (acquisition d’une nationalité étrangère, répudiation de la nationalité d’origine, mariage avec un étranger, etc.) ;
- par décret, dans le cadre d’une procédure appelée « libération des liens d’allégeance », accessible lorsque le demandeur justifie déjà d’une autre nationalité.
La réponse du gouvernement rappelle que la plupart de ces procédures relèvent du ministère de la Justice, à l’exception de la perte par décret, pilotée par le ministère de l’Intérieur. Mais jusqu’ici, aucune donnée consolidée n’avait été communiquée au public sur les tendances récentes de ces demandes.
120 demandes par an : un phénomène stable mais très concentré à l’étranger
Les chiffres fournis par le ministère de l’Intérieur permettent pour la première fois de mesurer l’ampleur réelle du phénomène. Sur les dix dernières années (2015-2024), 120 demandes de perte de nationalité par décret ont été déposées chaque année en moyenne. Mais surtout, 92 % de ces demandes sont initiées depuis l’étranger, auprès des postes consulaires. Cette surreprésentation montre que la renonciation est très majoritairement liée à des parcours de vie internationaux.
Certaines implantations consulaires concentrent une part notable des dossiers :
- Le consulat général de Genève : près de 30 % des demandes
- L’ambassade de France à Monaco : 14 %
- Les États-Unis (Washington principalement) : un peu plus de 8 %
À eux seuls, la Suisse, Monaco et les États-Unis représentent 60 % des demandes enregistrées dans le monde. Depuis 2023, un autre phénomène se confirme : la montée des demandes au Luxembourg, qui représente déjà 10 % des dossiers en 2025.
113 décisions favorables par an
Sur la période 2014-2024, 113 personnes par an en moyenne obtiennent effectivement un décret officialisant leur renoncement. Autrement dit, la quasi-totalité des demandes débouche sur une décision favorable, ce qui suggère que ces démarches sont généralement motivées par des contraintes administratives (nationalité unique dans certains pays) ou par des besoins professionnels et patrimoniaux.
Pourquoi renoncer à sa nationalité ?
Le ministère ne détaille pas les motivations individuelles, mais plusieurs facteurs sont bien connus :
- impossibilité dans certains pays de conserver une double nationalité ;
- nécessité administrative ou fiscale de choisir une nationalité unique ;
- démarches d’intégration ou d’accès à des professions réservées aux nationaux ;
- choix personnel d’aligner sa nationalité sur son pays de résidence durable.
Il s’agit donc moins d’un rejet de la France que d’une adaptation aux réalités juridiques et administratives locales.
Un sujet sensible, encore peu documenté
En interrogeant le gouvernement, la sénatrice a mis en lumière un point aveugle des statistiques publiques : aucune donnée ne semble disponible pour les pertes de nationalité par déclaration, pourtant majoritairement du ressort du ministère de la Justice. La réponse ministérielle se limite à rappeler le cadre juridique, sans fournir d’indicateurs.
La question reste donc ouverte : combien de Français renoncent chaque année à leur nationalité via ces autres mécanismes ? À ce jour, l’État ne publie aucune statistique centralisée sur ces procédures, contrairement à ce qui existe pour les acquisitions de nationalité.
Un enjeu politique et sociétal discret mais réel
Si les chiffres restent modestes à l’échelle des 2,5 à 3 millions de Français résidant à l’étranger, la concentration géographique des demandes et la progression observée dans certains pays invitent à mieux documenter ce phénomène. Dans un contexte où la nationalité reste un marqueur fort de l’appartenance républicaine, comprendre pourquoi certains citoyens demandent à s’en libérer est essentiel. L’initiative parlementaire de Sophie Briante Guillemont ouvre ainsi la voie à un débat plus large : comment appréhender les mutations de la citoyenneté française à l’heure de la mondialisation et de la mobilité accrue ?

