Les Sénatrices EELV représentant les Français établis hors de France ont déposé le 29 février 2024 une proposition de loi visant à « éviter les dérives portant atteinte à l’équité des campagnes électorales » relatives aux élections des représentants des Français de l’étranger. Constitué d’un article unique, ce texte vise à contrer la « minorité » de candidats aux élections consulaires qui profiterait « du manque d’encadrement effectif des campagnes ». Indépendamment des motivations politiques de ce texte, il semble essentiel de revenir sur l’état du droit, et la portée des propositions réalisées.
I. Le financement des campagnes électorales consulaires
L’exposé des motifs du texte des Sénatrices EELV l’affirme : « un candidat pourrait bénéficier aujourd’hui d’un don important d’une entreprise privée ou provenant d’un pays tiers, qui lui conférerait un avantage disproportionné au mépris d’une candidate à moyens financiers modestes l’empêchant de communiquer à son électorat potentiel ». Autrement dit, le cadre de financement – strict – des campagnes électorales françaises ne s’appliquerait pas aux élections visant à élire les Conseillers des Français de l’étranger. Ces derniers pourraient faire à peu près n’importe quoi.
Les règles de financement applicables aux élections consulaires
Cette affirmation est fausse. En effet, l’article 24 de la loi n°2013-659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France, qui concerne aussi bien les élections consulaires que les élections AFE, prévoit que « les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat ou d’une liste de candidats ni en leur consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en leur fournissant des biens, services ou autres avantages, directs ou indirects, à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ». Cette rédaction constitue une reprise mot pour mot du 2ème alinéa de l’article L52-8 du code électoral que la proposition de loi des Sénatrices EELV veut rendre applicable.
Les dispositions législatives sont en réalité déjà prévues.
De plus, l’article 24 précise également qu’« aucun candidat ni aucune liste de candidats ne peuvent recevoir, directement ou indirectement, pour quelque dépense que ce soit, des contributions ou aides matérielles d’un État étranger ou d’une personne morale de droit étranger », soit la même rédaction que l’alinéa 6 de l’article L52-8 du code électoral.
La portée des règles de financement
En vertu de ces dispositions – inscrites directement au sein de la loi fixant le cadre de la représentation des Français établis hors de France – il est déjà tout à fait interdit de financer une campagne consulaire via des dons de personnes morales, qu’elles soient françaises ou étrangères, autres qu’un parti politique français. Aucune personne morale autre qu’un parti politique, cela signifie que sont également totalement prohibés les dons – directs ou indirects – d’associations, et notamment d’associations reconnues d’utilité publique, par exemple l’UFE et l’ADFE.
Ainsi, la loi du 22 juillet 2013, adopté sous l’égide d’Hélène Conway-Mouret – alors Ministre déléguée chargée des Français de l’étranger – peut sans doute être complétée sur de nombreux points, mais elle n’a sûrement pas omis de limiter le financement des campagnes électorales consulaires.
II. L’absence de comptes de campagne
Par contre, il est tout à fait vrai que, malgré l’existence de cette législation, il n’y a pas de vérification systématique réalisée sur les comptes de campagne des candidats aux élections consulaires, car ces comptes n’existent pas. Les candidats aux élections consulaires n’ont pas à établir la comptabilité de leurs recettes et dépenses de campagne. En contrepartie, il n’existe pas de prise en charge par l’Etat des dépenses de campagne. Pour autant, en cas de constatations de « dérives » il est toujours loisible à un électeur de la circonscription, ou encore à un candidat à ces élections, de porter l’argument devant le Conseil d’État dans le cadre d’une protestation électorale, et le juge électoral peut tout à fait annuler une élection sur cette base.
La proposition de mise en place de comptes de campagne
La proposition de loi des Sénatrices EELV estime que cette absence de comptes de campagne est anormale, et que le financement d’une campagne doit être davantage contrôlé : déclaration d’une mandataire financier, obligation de dépôt de comptes de campagne auprès de la Commission National des Comptes de Campagne et des Financement Politiques (CNCCFP), plafonnement des dépenses de campagne, remboursement des dépenses réalisées à hauteur de 47,5% du plafond, réservé aux candidats ayant obtenu plus de 5% des suffrages… bref, l’intégralité des règles applicables aux élections législatives ou sénatoriales classiques.
En effet, ceci ne constitue pas la norme pour les plus petites élections, comme les élections municipales : seuls les candidats se présentant dans des communes d’au moins 9000 habitants sont soumis au contrôle de la CNCCFP. Par conséquent, aucun remboursement public n’est prévu pour ces élections.
L’obligation de dépôt de comptes de campagne
Si le législateur faisait le choix de mettre en place des comptes de campagne pour les Conseillers des Français de l’étranger dans les circonscriptions où résident plus de 9000 français – ce qui permettrait un remboursement des dépenses engagées dans la limite de la moitié du plafond autorisé – cela ne concernerait, sur la base de la population française inscrite sur les registres du 1er janvier 2021 qu’un tiers des circonscriptions, c’est à dire 45 circonscriptions sur 130 : les 4 circonscriptions canadiennes, 7 circonscriptions des Etats-Unis sur 9, l’Argentine, le Chili, le Mexique, l’Irlande, le Royaume-Uni (2ème circonscription), la Belgique, le Luxembourg, les trois circonscription allemandes, les deux circonscriptions Suisses, les deux circonscriptions italiennes, la Turquie, les deux circonscriptions espagnoles, le Portugal, la 3ème circonscription d’Algérie (Alger), deux circonscriptions marocaines sur six, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, Madagascar, Maurice, les Émirats, le Liban, les deux circonscriptions d’Israël, l’Australie, Hong-Kong, le Japon, Singapour et la Thaïlande.
Ce n’est pas la proposition faite par les Sénatrices EELV, qui fixent la limite à 5000 personnes inscrites non pas sur le registre des Français de l’étranger (c’est à dire l’ensemble des Français vivant dans un pays donné, et pas seulement les électeurs, soit la méthode normale de calcul) mais sur la liste électorale consulaire. La proposition de loi n’apporte aucune explication sur ce choix de 5000 inscrits, séparant ceux qui devront présenter des comptes de campagne et ceux qui n’auront pas à le faire. D’après l’exposé des motifs, l’application de cette règle aboutirait à mettre en place des comptes de campagne pour 54 circonscriptions sur 130.
Pour simplifier, les élus des Français de l’étranger seraient divisés en deux : ceux qui doivent déposer des comptes de campagne (et pourraient être en tout ou partie remboursés de leurs dépenses) et ceux qui n’ont pas à le faire (et ne seraient remboursés de rien). Pour rappel, le non-dépôt des comptes de campagne (obligatoire dès l’obtention d’1% des voix) est passible d’inéligibilité. Or nous ne sommes pas en train de parler d’hommes et de femmes politiques rompus à l’exercice des comptes de campagne, mais de candidats largement inexpérimentés pour qui l’élection consulaire est souvent leur toute première forme d’engament dans la vie politique.
L’instauration d’un plafond de dépenses
Enfin, la proposition de loi apporte une dernière précision – qui n’appelle pas réellement de commentaire, si ce n’est encore une fois d’être fixé sur la base des inscrits à la liste électorale et non au registre – le plafond de dépenses : entre 2000 euros pouvant être dépensés dans une campagne consulaire dans les circonscriptions inférieures à 5000 inscrits sur la LEC, jusqu’à 5000 euros pour les circonscriptions avec plus de 100 000 inscrits sur la LEC.
III. Une proposition de loi aux conséquences potentiellement importantes
Le texte n’apporte par ailleurs aucune dérogation permettant d’adapter la législation sur les comptes de campagne aux particularités des élections françaises à l’étranger. Or si le législateur voulait effectivement davantage contrôler les dépenses réalisées, il devrait absolument tenir compte de deux éléments importants.
Le premier est la difficulté pour un non-résident à ouvrir un compte bancaire en France. Cette démarche est déjà difficile pour les candidats à des élections connues – comme les législatives – lorsqu’ils habitent sur le territoire national. Dans un contexte où les comptes bancaires de Français qui habitent à l’étranger ne cessent d’être fermés, il n’est pas évident d’aller convaincre un établissement bancaire d’ouvrir un compte pour une élection que personne ne connaît qui se déroulera en Arabie Saoudite. Même si la procédure du droit au compte existe, les délais devraient être largement anticipés.
Deuxième élément à prendre en compte : la difficulté sur les taux de change et les particularités locales. Une telle proposition de loi est tout à faire neutre pour les élus européens qui vivent en euros. Mais ce n’est pas du tout la même histoire pour un candidat qui doit manier une monnaie locale, aux cours parfois extrêmement volatiles, dans des pays où les transactions se font largement en liquide, et qui devra retranscrire dans ses comptes de campagne – au taux fixé par la Banque de France – ses dépenses. Pour rappel plusieurs élections législatives des Français de l’étranger ont été annulées en 2012 à cause des difficultés liées aux comptes bancaires utilisés pour réaliser les dépenses de campagne. Il serait par ailleurs nécessaire d’augmenter les moyens de la CNCCFP pour qu’elle puisse faire face au contrôle sur pièce des dépenses de ces élections.
Cette proposition de loi, en l’état, porte le risque de devenir une véritable usine à gaz pour les futurs candidats aux élections consulaires. Or les sanctions en cas d’erreur ne sont pas minces : ces personnes risquent l’inéligibilité. Déposer des comptes de campagne – et tout candidat sérieux à des élections nationales le sait – est un exercice qui demande du temps et des moyens intellectuels et humains. Créer deux catégories de candidats – entre les grandes et les petites communautés françaises – et les contraindre dans cette démarche sans prendre en compte les particularités de leurs élections, signifie un changement extrêmement important.
Il est sans aucun doute possible de réfléchir à des pistes permettant un contrôle des dépenses réalisées. Mais pour cela il est nécessaire de réfléchir à un cadre spécifique, peut-être avec des comptes largement simplifiés, ou directement avec un système de contrôle réalisé au niveau local. La proposition de loi des Sénatrices EELV – encore une fois, indépendamment de ses motivations politiques – doit être largement retravaillée pour atteindre son objectif.