Dans le rapport de la mission d’information sur la réforme du corps diplomatique, les députés Vincent Ledoux et Arnaud Le Gall avaient traité les conditions de la réforme et les réactions qu’elle a suscitées en y apportant leur appréciation respective. Dans le même rapport les rapporteurs ont procédé à une présentation de l’organisation de la fonction diplomatique à l’étranger : en Espagne , Italie , Allemagne , États-Unis, au Royaume-Uni et au Canada
L’équipe de l’ASFE vous propose de revenir sur les modèles présentés.
La formation et l’organisation de la fonction diplomatique dans d’autres pays : similarités et singularités
L’organisation de la fonction diplomatique de chaque pays résulte de l’histoire singulière de leurs institutions, elle constitue en cela leur identité, et diffère donc d’un pays à l’autre, même si l’on retrouve des similitudes dans certains d’entre eux.
Allemagne
La diplomatie allemande s’appuie sur un corps diplomatique, distinct du reste de l’administration fédérale, qui repose sur une base législative (Gesetzt über den Auswaertigen Dienst).Le corps diplomatique allemand est géré par l’Auswaertigesamt, le ministère fédéral des Affaires étrangères. Les fonctionnaires de la catégorie la plus élevée du service diplomatique, le höherer Dienst, équivalent des catégories A et A+ en France, sont recrutés par des concours exigeants.
Espagne
L’Espagne dispose également d’un corps diplomatique unique, accessible par un seul concours d’entrée dans la carrera diplomática. Si, dans ce pays, les diplomates relèvent du cadre général des fonctionnaires de l’État, le fonctionnement du corps diplomatique est distinct du reste de la haute fonction publique.
De même en Espagne, la formation initiale des diplomates est assurée par l’école de Madrid à l’issue de la réussite au concours d’entrée dans la carrière diplomatique. Il s’agit d’une formation essentiellement pratique, associant cours et stages dans des représentations diplomatiques et consulaires. Cette formation vise à doter les nouveaux diplomates d’outils qui leur seront directement utiles dans l’exercice de leurs fonctions. L’école créée par le MAE en France semble s’inscrire dans ce type de modèle.
Italie
Le pays maintient un corps diplomatique unique, distinct des autres grands corps de fonctionnaires, et qui est ouvert par un seul et même concours.
La carrière diplomatique italienne conduit les agents à gravir progressivement les grades suivants : secrétaire de légation, conseiller de légation, conseiller d’ambassade, ministre plénipotentiaire et ambassadeur.
Par ailleurs, si en Italie le corps diplomatique est de taille légèrement inférieure à celui de la France, il s’y apparente par la sélection stricte qui prévaut à son entrée, les grades d’avancement et le déroulement de la carrière.
États-Unis
La diplomatie américaine, quant à elle, repose sur un corps diplomatique unique servant au Département d’État, qu’est l’équivalent du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères en France, et dans cinq autres « agences » gouvernementales . Ce corps diplomatique unique regroupe toutes les catégories de personnels, des ambassadeurs aux fonctions support. Il comprend deux grandes catégories d’agents : les « généralistes » (environ 60 % des membres du corps), qui doivent passer l’examen du Foreign Service pour entrer dans le corps diplomatique, et les « spécialistes » (environ 40 % des membres du corps), recrutés pour leurs connaissances ou leurs compétences particulières, qui ne sont pas obligés de passer l’examen d’entrée, mais doivent justifier des qualifications exigées pour le poste auquel ils postulent.
Royaume-Uni
Au Royaume-Uni, le FCDO constitue, par sa taille et ses ambitions, l’appareil diplomatique le plus comparable au ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères. Traditionnellement influent et prestigieux, le FCDO est dirigé par l’occupant de l’un des quatre Great Offices of the State aux côtés du Premier ministre, du Chancelier de l’Échiquier et du Secrétaire d’État à l’intérieur : Comme en France, le poids du FCDO dans la conduite de la politique étrangère britannique a toutefois eu tendance à se réduireen 2020, le Foreign, Commonwealth and Development Office (FCDO) employait près de 16 124 personnes au 31 mars 2022… Les Premiers ministres conservateurs depuis David Cameron n’ont eu de cesse de renforcer les compétences internationales du Cabinet Office avec pour effet de réduire l’influence et le prestige du FCDO. En 2010, un National Security Council et un poste de National Security Adviser ont ainsi été créés.
Récemment, le FCDO a cependant repris dans son giron la gestion pleine des relations avec l’Union européenne et la fusion avec le Department for International Development a considérablement renforcé ses moyens financiers, en accroissant son contrôle sur les dépenses d’aide au développement malgré l’absence de corps diplomatique de jure, les agents du Foreign, Commonwealth and Development Office (FCDO) forme une fonction publique distincte, sous l’autorité directe du Foreign Secretary, alors que le reste de la fonction publique d’État est dirigé par le Minister for the Civil Service (2) . Le code de la fonction publique ne s’applique pas aux agents diplomatiques, qui sont soumis au code de la fonction diplomatique. Le FCDO a ainsi la faculté de définir, sous le contrôle de la Civil Service Commission, les règles de recrutement et de gestion de ses agents. Contrairement aux agents titulaires du MEAE, les diplomates britanniques sont recrutés uniquement par contrat et non sous statut. Toutefois, le FCDO recrute ses diplomates d’un statut équivalent à celui des agents de catégorie A et A+ par une voie spécifique (fast stream), qui s’apparente, en pratique, à un concours. Si un diplomate, quel que soit son grade, n’est pas affecté à l’issue d’un poste, le FCDO n’interrompt ni sa rémunération ni la relation contractuelle. Le licenciement d’un agent permanent n’est possible qu’en cas d’insuffisance professionnelle ou de faute disciplinaire et le processus est suffisamment long et laborieux pour être rare.
Canada
Le Canada a également un corps diplomatique. Le ministère canadien des affaires étrangères, du commerce et du développement, appelé « Affaires mondiales Canada », ne peut cependant pas gérer de manière autonome son personnel, qui est employé par le ministère canadien de la Fonction publique. Les membres du corps diplomatique sont par ailleurs soumis aux lois, régimes et conventions collectives négociées pour tous les fonctionnaires fédéraux. À l’intérieur de ce cadre commun, le « service extérieur » a cependant ses spécificités, qui comprennent notamment l’exigence de rotation entre la centrale et l’étranger.
Le processus de réflexion sur l’avenir de la diplomatie au Canada pour diverses raisons, le Canada est marqué par la prédominance permanente des affaires intérieures dans la politique canadienne et dans la vie quotidienne de ses habitants. Le ministère canadien des affaires étrangères, appelé « Affaires mondiales Canada », dispose par ailleurs de compétences plus réduites que le MEAE. Dans le contexte de la pandémie, la diplomatie canadienne a néanmoins pris conscience de la nécessité de disposer de davantage de personnels sur le terrain.
Début novembre 2022, plus de quarante consultations avaient été menées, en interne tout autant qu’avec des interlocuteurs extérieurs. Un sondage a par ailleurs été effectué auprès de la totalité des personnels du ministère. Anticipant la nécessité de plaider en faveur d’une augmentation des moyens de la diplomatie, la ministre canadienne des Affaires étrangères souhaitait qu’un rapport soit élaboré avant la fin de l’année budgétaire. Certaines recommandations pourront être mises en œuvre immédiatement, d’autres se borneront à lancer des travaux de long terme.
Début novembre, l’équipe chargée du projet avait recensé 70 recommandations : toutes ne devaient pas être retenues et l’équipe devait établir une liste d’action prioritaire. Tous les constats débouchent sur la conclusion qu’il convient de renforcer la direction des ressources humaines du ministère des Affaires étrangères du Canada, afin notamment de mieux gérer les carrières et de valoriser l’expertise acquise par les agents quant à une zone géographique ou un thème transversal. Une des préconisations à l’étude plaide en faveur d’une spécialisation accrue du concours de recrutement des agents diplomatiques.
Ce processus de réflexion s’articule autour de cinq piliers : les ressources humaines, la capacité en matière de politiques, la capacité technologique et numérique, la présence mondiale et la culture organisationnelle. La culture organisationnelle du ministère a suscité en particulier de nombreux retours des agents qui critiquent la lourdeur des procédures.
Ce processus de réflexion peut être apparenté à l’initiative des États généraux de la diplomatie lancés à la fin du mois d’octobre en France, puisqu’il avait pour objectif, selon l’ambassadeur Jérôme Bonnafont, le rapporteur général de ces états généraux, « de faire remonter un témoignage fidèle », des agents, mais aussi de toutes les parties prenantes de la diplomatie française, sur l’évolution des missions et des métiers diplomatiques et consulaires.
Les approches de l’ouverture du corps diplomatique au sein des autres pays.
À l’étranger, des ministères des affaires étrangères plus ou moins ouverts dans certains pays comparables au nôtre, l’encadrement supérieur des ministères en charge des affaires étrangères est relativement peu ouvert à l’extérieur, notamment au reste de l’administration, mais aussi au secteur privé.
D’autres pays tentent aujourd’hui de revaloriser l’image du métier diplomatique. Aux États-Unis, le Département d’État développe des programmes de communication et de diplomatie publique destinés à mieux faire connaître le Foreign Service, y compris à travers une présence massive sur les réseaux sociaux. De même, le ministère canadien des Affaires étrangères songe à renforcer sa communication publique, afin de mieux faire connaître l’expertise des diplomates et les résultats concrets de leur action au quotidien. La direction de la communication et de la presse du Quai d’Orsay pourrait développer des actions similaires.
Aux États-Unis, au Royaume-Uni ou encore en Allemagne, des facteurs tels que la très forte contractualisation de l’encadrement public, le caractère fédéral de l’État ou encore la pratique des « dépouilles » (spoil system) ont pour effet de limiter fortement l’accès des fonctionnaires de carrière aux plus hauts postes de direction en administration centrale. Le modèle des pays anglo-saxons est plus ouvert et semble s’apparenter davantage à l’esprit voulu par la réforme.
C’est notamment le cas aux États-Unis où environ 40 % des membres du corps sont des spécialistes, recrutés pour leurs connaissances ou leurs compétences particulières, qui ne sont pas obligés de passer l’examen d’entrée du Foreign Service. De manière spécifique aux États-Unis, les postes d’encadrement peuvent également être attribués à des « political appointees ».
Certains diplomates peuvent, dans le sens de la mobilité sortante, être détachés dans d’autres agences américaines et de nombreux hauts gradés au sein de l’armée américaine disposent de conseillers diplomatiques issus du Foreign Service. Les diplomates américains peuvent par ailleurs faire valoir leurs droits à la retraite dès 50 ans, ce qui leur permet ensuite de dérouler éventuellement une deuxième carrière.
En Allemagne, la mobilité entrante et sortante au niveau de l’encadrement supérieur de l’Auswaertigesamt est soutenue en principe, mais faible en pratique. La part des contractuels est très limitée. Le ministère propose au cas par cas certains postes ou certaines fonctions à des non-diplomates. La proportion des postes d’encadrement occupés par des personnes qui ne sont pas issues du corps diplomatique est par ailleurs très restreinte : à titre d’exemple, ce n’est le cas actuellement que d’un seul poste, celui du directeur général en charge de la culture. La mobilité des diplomates vers d’autres postes à l’extérieur est possible, mais relève plus d’opportunités qui s’offrent à certains que d’une politique volontariste de l’Auswaertigesamt.
Au Canada, l’encadrement supérieur du ministère des Affaires étrangères a été ouvert aux autres administrations, il y a environ une décennie. Toutefois, ce processus connaît des limites en sens inverse, la mobilité sortante des diplomates au sein d’autres administrations est limitée à une dizaine de personnes chaque année et la mobilité vers le secteur privé est pratiquement inexistante.
Au Royaume-Uni, le FCDO n’a longtemps eu qu’une pratique très limitée des recrutements temporaires, qui ne concernait que des personnels issus de certains ministères régaliens et n’avait cours qu’en ambassade, pour les fonctions support, et en administration centrale, pour les services techniques ou certaines spécialités. Les diplomates britanniques témoignent notamment d’une flexibilité grandissante pour la mobilité interministérielle, particulièrement entrante. Certains postes auparavant réservés aux diplomates de carrière sont désormais ouverts aux candidatures de civil servants issus d’autres ministères. Au 31 mars 2022, 517 civil servants issus d’autres ministères étaient en fonction au sein de la diplomatie britannique, dont 65 au plus niveau d’encadrement (soit 10 % environ des senior civil servants). En sens inverse, 173 diplomates servaient dans d’autres administrations.
En Espagne, le poids de l’avancement dans le déroulement des carrières, qui valorise les années consacrées au service du ministère des Affaires étrangères, n’encourage pas les mobilités sortantes ni, par voie de conséquence, les mobilités entrantes. La part de contractuels est résiduelle et porte essentiellement sur les fonctions support. Seuls 3 % des diplomates espagnols effectuent actuellement une mobilité vers d’autres ministères et les mobilités vers le secteur privé sont encore plus rares. La quasi-totalité des postes de direction du ministère espagnol des Affaires étrangères sont occupés par des diplomates de carrière.
En Italie, en principe, l’accès à la carrière diplomatique intervient exclusivement par concours public. La trajectoire professionnelle des diplomates se structure essentiellement en fonction de l’ancienneté. Pour un diplomate, il est nécessaire de passer un certain nombre d’années dans un grade avant d’atteindre le grade suivant. Le passage des grades supérieurs est strictement encadré, il fait intervenir une commission collégiale.
À partir des années 1990, la Farnesina (le ministère italien des Affaires étrangères) s’est toutefois progressivement ouverte à la contractualisation. La plupart des contractuels employés par le ministère sont toutefois des agents de droit local, qui occupent des fonctions de soutien et de rédaction. Considéré comme exerçant une fonction de souveraineté, le métier de diplomate est réservé, dans les faits, aux diplomates de carrière.
La Farnesina demeure donc un département ministériel relativement fermé aux mobilités entrantes et reste réticente à favoriser une trop grande mobilité de ses diplomates, très recherchés par les autres administrations et les entreprises.
Les nominations politiques
Aux États-Unis, les ambassadeurs, les directeurs (assistant secretaries) et les directeurs-adjoints (deputy assistant secretaries) peuvent être des diplomates de carrière ou des political appointees. Durant l’administration Trump, 45 % des ambassadeurs étaient ainsi des political appointees. En revanche, tous les autres postes au Département d’État sont réservés aux personnels du Foreign Office.
De manière générale dans les autres pays, la politisation des affectations des ambassadeurs est peu fréquente. En Allemagne, la part des affectations qui peuvent être jugées politisées est très limitée. En effet la nomination d’anciens ministres comme ambassadeurs est déjà intervenue dans l’histoire de l’Auswaertigesamt, mais représente un fait très rare.
En Espagne également, la quasi-totalité des postes de diplomates et d’ambassadeurs est confiée à des diplomates de carrière de sorte que la part des nominations à caractère politique est considérée comme très résiduelle, de l’ordre de 2 à 5 %. Actuellement, deux ambassadeurs espagnols, sur un total de 117 ambassades et 11 représentations permanentes, sont d’anciens politiques.
En Italie, la Farnesina résiste à la forte pression pour ouvrir des postes diplomatiques à des personnalités extérieures, considérant que l’instabilité politique chronique constitue un repoussoir pour ce type d’ouvertures. Le gouvernement italien a en théorie les moyens de nommer des personnalités extérieures, mais de telles occurrences sont cependant rares dans les faits.
Au Royaume-Uni, les postes d’ambassadeur et de consul ne sont attribués qu’à des civils servants, à de très rares exceptions. Au Canada, les nominations politiques discrétionnaires représentaient 10 % des nominations en 2021, un chiffre stable au cours de la dernière décennie.
À l’aune des modèles d’organisation de la fonction diplomatique qui ont été présentés, force est de constater que le questionnement mené par la France sur son modèle diplomatique est loin d’être isolé, puisque l’on observe un processus généralisé de réflexion sur la fonction diplomatique au sein de nombreux pays telle que présentée dans le rapport.