La lecture définitive du projet de loi de finances pour 2023 a eu lieu le jeudi 15 décembre à l’Assemblée nationale. L’usage répété de l’article 49.3 de la Constitution permettant l’adoption du texte sans vote aura électrisé les oppositions au Palais Bourbon.
Au Palais du Luxembourg, les débats se sont tenus dans une plus grande sérénité. Les Sénateurs ont d’ailleurs voté de façon transpartisane de nombreux amendements, concernant notamment les Français de l’étranger.
Malheureusement, le Rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale – le député Renaissance Jean-René Cazeneuve – a décidé de ne garder aucun de ces amendements dans la version finale du texte.
Retour sur les dispositions votées par le Sénat et supprimées à l’Assemblée nationale.
Déductibilité des prestations compensatoires
Situation
Dans le cadre d’un jugement de divorce concernant les Français vivant en France, la pension alimentaire allouée ainsi que la prestation compensatoire peuvent être déduites de l’impôt sur le revenu.
Pour les Français de l’étranger, seule la pension alimentaire imposable en France est déductible de l’impôt et ce depuis la loi de finances pour 2019. Cette loi de finances n’a toutefois – et de façon peu compréhensible – pas changé le régime applicable aux prestations compensatoires, ces versements allant souvent de pair dans un jugement de divorce.
Amendement voté au Sénat
Evelyne Renaud-Garabedian a donc déposé un amendement permettant la déductibilité de la prestation compensatoire pour les non-résidents, disposition qui avait déjà été adoptée par le Sénat à de multiples reprises.
Avis du Ministre
Le Gouvernement – par la voix du ministre des Comptes publics – a émis un avis défavorable à cet amendement. Dans son explication quelques peu confuse et erronée, le Ministre indique permettre « à des personnes qui résident en France de déduire de leurs revenus de source française la pension qu’ils versent dans un autre pays – dans leur pays d’origine. Les personnes visées peuvent donc déduire ces pensions de leurs revenus dans l’État où elles résident. »
Vérification
Cette réponse n’évoque donc pas les prestations compensatoires visées par l’amendement et est par ailleurs inexacte puisque l’avancée de 2019 permet justement à des non-résidents de déduire de leur impôt français des pensions imposables en France.
Crédit d’impôt pour des dons à des associations françaises
Situation
Le versement de dons faits par des Français résidant en France au profit d’associations donne droit à un crédit d’impôt, alors que les Français non-résidents – bien qu’imposés en France – n’en bénéficient pas.
Amendement voté au Sénat
Le Sénat a adopté un amendement permettant aux donateurs – Français vivant à l’étranger – de bénéficier d’un crédit d’impôt dans le cadre des dons consentis à des associations françaises.
Avis du Ministre
Dans son intervention, le ministre des Comptes publics précise que les Français non-résidents « n’étant pas imposés en France sur la totalité de leurs revenus, ils n’ont pas accès à l’intégralité des avantages destinés à ceux qui le sont. » Il fait valoir qu' »un résident hors de France peut, dans la majorité des pays, déduire de son imposition sur place les dons effectués au profit d’œuvres en France. C’est le cas dans l’Union européenne et dans un grand nombre de pays avec lesquels nous avons signé une convention fiscale.«
Vérification
Depuis 2009, la possibilité d’émission d’un reçu fiscal a été étendue aux dons et versements consentis au profit d’organismes étrangers établis dans un Etat membre de l’Union européenne (UE) ou dans un Etat membre de l’Espace économique européen (EEE) ayant conclu avec la France une convention fiscale comportant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscale. La prise en compte des dons par le pays de résidence effectués en France depuis l’étranger est donc limitée à l’UE et l’EEE.
Un rapport de décembre 2020 de l’OCDE intitulé « La fiscalité et la philanthropie » indique qu' »en dehors de la position de l’Union européenne, étendue à tous les membres de l’Espace économique européen (EEE), la position générale est que les aides fiscales applicables pour les dons aux organismes philanthropiques nationaux ne le sont pas pour les dons aux organismes étrangers. La plupart des États limitent l’allégement fiscal aux dons faits à des organismes qui sont « dans », ou « constitués dans » ou « établis dans » le pays ou qui ont un autre lien avec lui. »
La possibilité (réduite) de déduire un don effectué au profit d’une oeuvre en France lorsque l’on réside à l’étranger ne dépend généralement pas des conventions fiscales comme l’indique le ministre mais d’un mécanisme particulier par lequel le don est effectué au profit d’un organisme étranger reversant ce don à une structure française. Pour que le donateur puisse recevoir un reçu fiscal, il est impératif que l’organisme étranger bénéficie d’un agrément de la part de la Direction générale des Finances Publiques (DGFiP).
Dans le cas où l’organisme étranger n’a pas sollicité l’agrément, il appartient alors au contribuable donateur français de produire dans les délais de la déclaration d’impôt les pièces justificatives attestant que l’organisme gratifié remplit les conditions fixées par la procédure d’agrément.
Cela concerne donc plutôt les grandes fondations qui disposent de relais à l’étranger et non les petites associations.
Exonération de la taxe d’habitation sur la « résidence d’attache » des Français non-résidents
Situation
La résidence en France des Français de l’étranger est assimilée à une résidence secondaire. A ce titre, elle est encore soumise à la taxe d’habitation. Depuis plusieurs années déjà, des parlementaires et des candidats à l’élection présidentielle proposent de créer un nouveau statut de résidence pour le bien unique détenu par un Français de l’étranger.
Amendement voté par le Sénat
Le Sénat a adopté un amendement assimilant un bien détenu par un Français non-résident à une résidence d’attache qui serait exonérée de taxe d’habitation. Ce bien doit être « libre de toute occupation permanente et est réservé à la jouissance exclusive du propriétaire et des membres de son foyer fiscal ». Il ne doit produire aucun revenu locatif.
Avis du Ministre
Le ministre chargé des Comptes publics a indiqué qu’en l’état ces dispositions « ne sont conformes ni à la Constitution ni […] au droit de l’Union européenne« .
Vérification
L’amendement dans la rédaction adoptée par le Sénat aurait probablement été jugé inconstitutionnel en ce qu’il créé une rupture d’égalité avec des résidences secondaires, répondant aux mêmes caractéristiques que la résidence d’attache évoquées ci-dessus.
Par ailleurs, le droit conventionnel, comme le droit européen, ne pourrait être compatible avec une disposition fiscale privilégiant certains contribuables non-résidents en raison de leur nationalité comme le prévoit cet amendement.
Des solutions juridiques permettant de respecter à la fois les principes constitutionnels et le droit communautaire peuvent être trouvées. Il pourrait s’agir par exemple de créer un statut de résidence couplant à la fois la détention d’un bien unique en France, le statut de non-résident, et l’acquittement précédent d’une taxe d’habitation sur une période de 5 ans.
Octroi de la garantie de l’État à des établissements français à l’étranger
Situation
Selon les législations et les règles fiscales en vigueur dans le pays d’accueil, un établissement d’enseignement français à l’étranger doit dans certains cas être adossé à une entité juridique distincte afin de pouvoir développer un projet immobilier.
Amendement voté par le Sénat
Un amendement adopté par la Chambre Haute proposait que ces entités, liées statutairement ou contractuellement aux établissements scolaires, puissent demander une garantie de l’Etat pour le financement du projet immobilier.
Avis du Ministre
Le rapporteur général au Sénat a justifié son désaccord en soulignant que la participation d’établissements d’enseignement français – surtout lorsqu’il s’agit d’établissement en gestion directe – à des structures de droit étranger, sans convention avec l’Etat n’est pas sans risque. Le Ministre s’est rallié à cet avis.
Vérification
Le dispositif de garantie de l’Etat tel que prévu à l’arrêté du 2 avril 2021 pris en application de l’article 198 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 prévoit qu’une garantie peut être octroyée pour les « prêts accordés au bénéfice des établissements français d’enseignement à l’étranger« , autre que des établissements en gestion directe. Ces établissements conventionnés ou partenaires sont eux mêmes des structures de droit étranger et peuvent néanmoins être couverts par cette garantie.
La commission interministérielle en charge de l’octroi de la garantie pourrait apprécier les liens qui unissent l’entité juridique indépendante et l’établissement. Si ceux-ci sont régis par des textes assurant le contrôle de l’établissement scolaire sur l’entité, le risque évoqué par le rapporteur général est levé.
Revalorisation des indemnités des Conseillers des Français de l’étranger et des Conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger
Situation
Les Conseillers des Français de l’étranger et les Conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger – fonction bénévole – sont les seuls élus de la République à ne pas percevoir d’indemnité de fonction distincte de leur indemnité de déplacement/remboursement des frais liés à leurs mandats.
Amendement voté au Sénat
Le Sénat – malgré un avis défavorable du rapporteur spécial et de la ministre – a voté une augmentation des indemnités de ces deux catégories d’élus afin de créer une réelle indemnité de fonction, distincte de leur indemnité de déplacement.
Avis du Ministre
Le rapporteur spécial a objecté que « les conseillers consulaires disposent, le cas échéant, d’une dotation complémentaire qui permet de rembourser la différence entre les frais de déplacement engagés et un taux forfaitaire fixé par décret. », position à laquelle s’est ralliée la ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Vérification
Si la remarque est correcte, elle n’est que partielle. Il faut préciser que les Conseillers des Français de l’étranger perçoivent un remboursement de leurs frais de transport uniquement pour la part de ces frais annuels dépassant 60% du montant annuel de l’indemnité de fonction qui leur est versée. Pour la part inférieure, il leur faut puiser dans leur indemnité pour se rembourser.
Les Conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger ne perçoivent, eux, aucune indemnité de fonction en dehors des frais de transport et de séjour pour participation à leur session plénière.
Création d’une aide pour les victimes de violences conjugales à l’étranger
Situation
A ce jour, il n’existe aucun dispositif public de prise en charge des victimes françaises de violences conjugales et intra-familiales à l’étranger. Les consulats orientent les victimes vers des structures d’accueil locales ou des associations, mais ne peuvent leur allouer une aide financière spécifique.
Amendement voté au Sénat
Complétant le dispositif voté au Sénat d’aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales qui ne prenait pas en compte les femmes françaises résidant à l’étranger, l’amendement d’Évelyne Renaud-Garabedian créait une « Aide à destination des victimes françaises de violences conjugales à l’étranger ». Cette aide leur aurait permis de quitter le domicile conjugal, de regagner la France en finançant des billets d’avion pour elles et leurs enfants ou bien encore de rebondir localement – si elles ne peuvent sortir du pays, par exemple du fait des enfants ou d’une procédure judiciaire en cours.
Avis du Ministre
La ministre de l’Europe et des Affaires étrangères s’est opposée à la création d’une telle aide et a fait valoir que « des aides sociales étaient d’ores et déjà attribuées sous conditions de ressources, à toute personne en difficulté à l’étranger […] ». Elle a aussi souligné que « les Françaises et Français en situation de difficulté à l’étranger peuvent solliciter les organismes locaux d’entraide et de solidarité (OLES). » La Ministre a également évoqué la facilitation du retour en France de victimes de violences conjugales, « par la prise en charge financière des titres de transport et des formalités administratives de retour pour la victime […] lorsque toutes les autres solutions recherchées ont été infructueuses.«
Vérification
Il est indéniable que des aides sociales existent mais celles-ci nécessitent l’avis du conseil consulaire qui doit se réunir pour étudier le dossier, démarche qui prend du temps alors que la situation nécessite une réponse en urgence, urgence qui s’avère parfois vitale.
Par ailleurs, le recours à un OLES est bien sûr possible quand un tel organisme existe ce qui n’est pas le cas partout dans le monde.
Enfin, les actions du ministère en matière de rapatriement sont certes réelles mais très ponctuelles.
La mise en place d’un dispositif pérenne inscrit en loi de finances, spécifiquement dédiée aux situations de violences conjugales, connu des victimes et identifié par consulats permettrait une meilleure prise en charge : un recours accru pour les victimes et un déblocage plus rapide des fonds.
Création d’un programme de rapatriement pour les interruptions volontaires de grossesse
Situation
L’interruption volontaire de grossesse (IVG) est dans certains Etats limitée à quelques cas (viol, malformation du foetus, risque pour la mère) quand il n’est tout simplement pas interdit, ce qui est encore le cas dans 15 pays dans le monde. Même dans les pays où l’IVG est légale, son accès peut être contraint car certains professionnels refusent de la pratiquer.
Amendement voté au Sénat
L’amendement voté au Sénat aurait permis aux Françaises résidant dans ces pays de pouvoir être rapatriées de façon urgente lorsque la réalisation d’une IVG ne peut être réalisée dans pays de résidence et qu’elles ne peuvent pas rentrer en France par leurs propres moyens dans les délais légaux de recours à l’avortement.
Avis du Ministre
La ministre de l’Europe et des Affaires étrangères a souligné quel le rapatriement n’était pas une prérogative des postes diplomatique et consulaires et que la règle était « de rechercher le financement par l’intéressé ou ses proches, ou de verser une avance remboursable. » Elle a aussi indiqué qu’il serait inéquitable de prévoir « un rapatriement pour interruption volontaire de grossesse et de ne pas faire de même pour des compatriotes atteints de pathologies graves qui pourraient également avoir besoin de se faire soigner en France.«
Vérification
Les rapatriements ne font pas des missions des consulats et ambassades. Toutefois, il existe des cas graves de rapatriements sanitaires, notamment en lien avec France Horizon.
Une réflexion pourrait être menée avec cette association pour prévoir d’étendre ces rapatriements aux femmes enceintes en situation d’indigence et pour lesquelles le délai de recours à l’IVG en France est presque dépassé.
Exonération de la CSG-CRDS
Discutée lors du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, la question de l’exonération de la CSG-CRDS pour les non-résidents habitant un pays tiers à l’Union européenne, à l’Espace économique européen et à la Suisse reflète bien les positions des deux chambres quant aux Français de l’étranger.
Situation
Depuis la loi de finances pour 2019, les non-résidents fiscaux habitant un Etat membre de l’Union européenne, de l’Espace économique européen et en Suisse sont exonérés de CSG-CRDS sur leurs revenus du patrimoine, au nom du principe d’unicité des législations européennes en matière de sécurité sociale prévu par le droit européen. Les non-résidents habitant dans un Etat tiers et disposant de biens en France sont toujours assujettis à ces cotisations sociales bien qu’ils ne bénéficient d’aucune prestations sociales.
Amendement voté par le Sénat
Présentée chaque année – et chaque année adoptée au Sénat – l’extension de l’exonération à l’ensemble des non-résidents est systématiquement supprimée par le Gouvernement (ou les députés) lors du retour du texte à l’Assemblée nationale.
Avis du Ministre
Le PLFSS 2023 n’a pas dérogé à cette règle. Les ministres changent mais les argumentaires – et les éléments de langage – restent les mêmes.
Le Gouvernement a réaffirmé ne pas vouloir aller au delà de la jurisprudence de Ruyter, qui prévoit l’exonération seulement pour les non-résidents habitant dans un pays européen.
Allant à l’encontre de ce que la jurisprudence européenne affirme, le Gouvernement estime que la CSG et la CRDS sont des impôts et non des cotisations sociales, ne créant ainsi aucun droit.
Vérification
La Cour de Justice de l’Union européenne et la Cour administrative d’appel de Nancy, dans l’arrêt du 31 mai 2018 (n°17NC02124) ont estimé que les prélèvements sociaux concernés ont un lien direct et pertinent avec certaines branches de financement de la sécurité sociale, en d’autres termes qu’ils financent des prestations de sécurité sociale.
Un des arguments également avancés les années précédentes était que la suppression de prélèvements sociaux pour l’ensemble des non-résidents bénéficierait à des personnes de nationalité étrangère possédant un bien immobilier en France, exemple étant pris d’investisseurs étrangers fortunés qui en seraient également dispensés lors de la revente de leur bien.
Pour répondre à cette critique, Evelyne Renaud-Garabedian a présenté un amendement exonérant de CSG et de CRDS l’ensemble des non-résidents à condition qu’ils aient été affiliés à un régime obligatoire français d’assurance-maladie pendant au moins cinq ans. Cette condition d’affiliation antérieure permettait d’exclure des profils de propriétaires comme des investisseurs immobiliers étrangers et de garantir l’exonération de CSG-CRDS aux Français de l’étranger qui ont – pour beaucoup – déjà vécu en France avant leur départ.
L’amélioration du dispositif en réponse aux critiques passées n’aura pas suffi au Gouvernement qui décidément n’a fait aucun pas pour les Français de l’étranger. Dont acte.