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Service militaire volontaire : la France engage un tournant

En annonçant la création d’un service militaire volontaire (SMV) de dix mois, Emmanuel Macron a ouvert un nouveau chapitre dans la longue histoire française du service national. Dès septembre 2026, 3 000 jeunes pourront intégrer ce dispositif, avant une montée en puissance spectaculaire visant 50 000 volontaires en 2035.
Après près de trois décennies sans conscription, et alors que l’Europe s’interroge sur son niveau de préparation face aux tensions géopolitiques, la France semble amorcer un retour assumé vers une forme d’engagement militaire structuré.

Réarmer l’esprit de défense

Depuis 1997, la suspension du service militaire avait laissé place à un ensemble d’engagements volontaires, civils comme militaires. Mais la guerre est revenue sur le continent, et avec elle une question simple : comment préparer une génération entière aux défis de la défense et de la cohésion nationale ?
Ce mouvement de fond, plusieurs pays européens l’ont anticipé. L’Allemagne discute d’une nouvelle forme de service militaire. Le Royaume-Uni réfléchit à un engagement armé court pour les 18 ans. La Pologne vise 100 000 jeunes par an.
Dans ce contexte, la France choisit une voie singulière : un service long, volontaire, mais clairement militaire, pensé comme un sas entre jeunesse et armée de métier. La Note Flash publiée par France Stratégie en mai 2025 dressait d’ailleurs la cartographie de ces transformations à l’échelle du continent, montrant un retour assumé des politiques d’engagement militaire dans une Europe inquiète de son environnement stratégique

Un dispositif qui change d’échelle

Jusqu’ici, le Service militaire volontaire existait déjà… mais dans des proportions sans commune mesure : environ 1 000 jeunes par an, ciblant des profils éloignés de l’emploi et encadrés étroitement par l’armée.
Le Service militaire adapté (SMA), en Outre-mer, en accueille environ 6 000. Ces deux programmes bénéficient d’une réputation solide en matière d’insertion, mais restent coûteux et surtout très exigeants en termes d’encadrement.
Avec l’annonce présidentielle, la France passe dans une tout autre dimension. 3 000 jeunes en 2026, 50 000 en 2035 : c’est un changement d’ordre de grandeur. France Stratégie avait anticipé ce scénario : un service militaire volontaire massif pourrait, selon ses projections, toucher jusqu’à 70 000 jeunes par an, pour un coût avoisinant 1,7 milliard d’euros si la durée est de six mois et le coût par jeune d’environ 24 000 euros.
Or la version 2026 sera de dix mois, ce qui pourrait mécaniquement en augmenter le coût.

L’armée face au défi logistique

Derrière la décision politique se cache une question très concrète : comment absorber 50 000 jeunes dans un cadre militaire de dix mois ? Car les armées françaises sont limitées, devenues professionnelles depuis un quart de siècle. Accueillir des cohortes importantes pose des défis majeurs :
France Stratégie va même plus loin : dans le scénario d’un retour à un service militaire obligatoire, elle estime qu’un passage de 300 000 à 600 000 jeunes serait tout simplement impossible à mettre en œuvre en moins de cinq ans tant les besoins matériels et humains sont colossaux.
Si le futur SMV n’atteint pas cet ordre de grandeur, l’accueil de 50 000 jeunes par an représente tout de même une révolution pour une institution qui, aujourd’hui, n’en forme qu’une fraction.

Un outil au service de la cohésion nationale

L’ambition présidentielle n’est pas seulement militaire. Elle est aussi sociale et politique. Les dispositifs d’engagement actuels – SNU, service civique, SMA, SMV – souffrent d’un manque d’universalité. Ils attirent surtout des jeunes déjà motivés, laissant de côté une large part d’une génération.
Le nouveau SMV vise à produire un effet de creuset, ce moment où l’on apprend à vivre ensemble, où l’on partage un uniforme, un cadre, un rituel.
C’est le cœur de la réflexion de France Stratégie : comment recréer une expérience commune dans une société fragmentée ? Comment faire de l’engagement autre chose qu’une démarche individuelle ?

Reste la question clé : les volontaires répondront-ils présents ?

Le grand pari du gouvernement reste l’adhésion. Un service de dix mois, exigeant, loin du domicile, dans un environnement militaire, représente un engagement bien plus lourd que le SNU ou le service civique.
Car pour attirer des effectifs massifs, il faudra des incitations fortes.
France Stratégie suggère même quelques pistes :
Sans une telle revalorisation, le dispositif pourrait peiner à recruter.

Un pari stratégique

En profondeur, la création du nouveau SMV pose la question du modèle français d’engagement pour les décennies à venir. Veut-on renforcer l’esprit de défense ? Favoriser la mixité sociale ? Préparer un vivier pour la réserve ? Offrir une passerelle vers l’armée professionnelle ?
Avec son service militaire volontaire de dix mois, la France fait un choix hybride, entre volontariat et « militarité », entre cohésion nationale et préparation à la défense.
Les contours opérationnels restent encore flous, mais une certitude se dessine déjà : cette réforme ne sera pas qu’un ajustement technique. C’est un tournant stratégique, qui mobilisera l’armée, les collectivités, les acteurs de l’insertion et une génération entière.
L’année 2026 marquera donc le début d’un vaste chantier. Le pari est ambitieux ; son succès dépendra de la capacité du pays à conjuguer vision politique et réalités opérationnelles – et de la volonté de dizaines de milliers de jeunes de s’engager dans cette aventure.
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