Le G20 de 2024, accueilli à Rio de Janeiro les 18 et 19 novembre sous la présidence du Brésil, a révélé avec éclat la difficulté de maintenir une unité dans un monde marqué par des rivalités géopolitiques et des intérêts divergents. Orchestrant ce sommet, Luiz Inácio Lula da Silva a tenté d’imposer un fil conducteur plus consensuel, axé sur la lutte contre la faim et la pauvreté. Pourtant, derrière ces priorités affichées, se sont insinuées les tensions qui redéfinissent la scène mondiale, allant des conflits armés aux crises climatiques, en passant par la rivalité sino-américaine.
Le décor du sommet, une première pour l’Amérique du Sud depuis le lancement du G20, était porteur de symboles : Lula cherchait à réaffirmer le rôle du Sud global dans un ordre international toujours largement dominé par les puissances occidentales, l’inclusion récente de l’Union africaine dans le forum témoignant de ce tournant stratégique. Or, cet effort pour élargir la représentativité s’est rapidement heurté à une réalité plus troublante, où un groupe fragmenté, malgré les apparences, verrait ses fractures approfondies.
Le spectre omniprésent des tensions diplomatiques
Ainsi, la guerre en Ukraine, bien qu’évitée dans les discussions officielles, a pesé lourdement sur les échanges. En l’absence de Vladimir Poutine, représenté par Sergueï Lavrov, les Occidentaux ont multiplié les critiques, dénonçant la rhétorique nucléaire agressive de la Russie et ses récents bombardements contre l’Ukraine. Les alliés de Moscou, eux, dont notamment la Chine et l’Inde, ont freiné toute condamnation explicite de l’invasion, limitant la déclaration finale à des appels généraux pour une « paix juste et durable ». Cette prudence a permis d’éviter un blocage, mais au prix d’un silence dénoncé par le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui regrette l’absence de stratégie forte face à Moscou.
Si Lula espérait alors détourner les projecteurs des conflits armés, la diplomatie brésilienne a dû jongler avec des tensions constantes et grandissantes : lors d’une photo de famille prise sous l’égide de l’Alliance contre la faim, initiative supposément centrale du sommet, Lavrov s’est retrouvé aux côtés d’Emmanuel Macron, qui lui a tendu une main sans un mot. Plus tard, Joe Biden, absent lors de ce moment, a posé pour un cliché distinct, montrant cette difficulté d’afficher une unité symbolique, censée être la clef de ce sommet.
L’impasse du bras-de-fer sino-américain
Les relations sino-américaines par ailleurs, autre source de discorde majeure, ont également imprégné les discussions. Tandis que Washington, engagé dans une course à la réindustrialisation et au contrôle des technologies stratégiques, accentue ses restrictions sur les exportations vers la Chine, Pékin, de son côté, renforce son alignement avec Moscou et ses ambitions économiques globales. Ces tensions ont divisé les membres, les économies émergentes cherchant à éviter de s’aligner trop étroitement avec l’un ou l’autre camp. Lula, tout en défendant les intérêts du Sud, a dû naviguer prudemment entre ces deux géants.
La question climatique : une ambition à demi-mot
Le sommet a également déçu sur la question climatique, un enjeu pourtant central pour le Brésil. Alors que Lula, qui accueillera la COP30 en 2025 à Belem, a rappelé l’urgence de l’action face au réchauffement climatique, les avancées concrètes sont en réalité restées limitées. Les dirigeants ont, certes, évoqué le besoin d’augmenter le financement climatique réclamés par les pays plus vulnérables, mais cela s’est fait sans fournir de détails sur les montants nécessaires ou sur leurs modalités, démontrant que les ambitions affichées lors des précédentes COP semblent en fait se dépérir en importance face aux divisions géopolitiques et à la compétition pour les ressources énergétiques.
Un multilatéralisme à bout de souffle
Pour finir, sur le plan interne, bien que le sommet ait permis au président brésilien de réaffirmer sa vision d’une diplomatie indépendante, fondée sur le dialogue et les compromis, l’opposition nationale, incarnée par le président argentin ultralibéral Javier Milei qui a exprimé ses désaccords sur plusieurs points, a montré que même en Amérique latine, les divergences s’intensifient.
Finalement, ce G20, en apparence modéré, a surtout mis en lumière l’essoufflement d’un multilatéralisme déjà affaibli par les crises contemporaines. Si Lula espérait en faire une tribune pour les préoccupations du Sud global, le sommet a fini par révéler les limites d’un forum où les rivalités dominent, réduisant les grandes déclarations à des compromis minimaux.