La France passe d’une campagne électorale à une autre en l’espace de 24 heures. En effet, après la lourde défaite subie par le camp présidentiel lors des élections européennes, Emmanuel Macron a annoncé dissoudre la chambre basse du Parlement provoquant dans la foulée la convocation de nouvelles élections législatives, les 30 juin et 7 juillet prochains.
Ce mécanisme a été déclenché à 5 reprises dans l’histoire de la Ve République, et n’a pas toujours été une grande réussite politique. Retour sur les cinq précédentes dissolutions de l’Assemblée nationale.
1962 et 1968 : de Gaulle en réussite
A la suite de l’adoption d’une motion de censure menée par les socialistes, le Mouvement républicain populaire (MRP) et des Indépendants, opposés à une révision constitutionnelle visant à instaurer l’élection du président de la République au suffrage universel direct, le général de Gaulle décide de dissoudre la chambre basse le 9 octobre 1962. Cette initiative a été couronnée de succès puisque la majorité présidentielle a remporté la majorité absolue à ces élections avec 268 élus (contre 212 pour la précédente législature). Le Gouvernement mené par Pompidou est sauf.
Après la longue crise sociale de mai 1968, le général de Gaulle prend la décision de former l’Union pour la défense de la République (UDR) qui rassemble les gaullistes autour du Premier ministre sortant – toujours Georges Pompidou – et de dissoudre une nouvelle fois l’Assemblée nationale afin de pouvoir rétablir l’ordre contre les socialistes et les communistes. Ces derniers sont jugés responsables du chaos dans lequel sombre le pays selon l’exécutif. Les élections de juin sont marquées par une forte mobilisation (80,01 % de participation) et se soldent par le triomphe de la droite, la nouvelle coalition obtenant à elle seule la majorité absolue (393 sièges sur 487). Pour la première fois de l’histoire de la Ve République, un parti politique conquiert la majorité absolue à la chambre basse. Les partis de gauche, qui ont perdu plus de la moitié de leurs sièges, ne peuvent qu’accepter cette lourde défaite.
1981 et 1988 : des résultats mitigés pour Mitterrand
Si le général de Gaulle a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale à deux reprises pour des raisons politiques, François Mitterrand a lui procédé à ce mécanisme (deux fois également) pour une certaine logique institutionnelle.
Avant 2000, le mandat du président de la République s’étalait sur sept années, alors que celui d’un député ne s’échelonnait que sur cinq ans. L’absence de concordance entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif était alors possible et usuelle. C’est pour cette raison que dès le lendemain de son investiture présidentielle, le socialiste François Mitterrand dissout, le 22 mai 1981, l’Assemblée nationale élue en mars 1978 avec une majorité de députés situés à droite de l’échiquier politique. Les Français suivent la logique institutionnelle et accordent au Parti socialiste 329 députés. La droite chiraquienne, elle, doit se contenter de 150 élus.
En 1988, le contexte politique est quelque peu différent. Réélu président de la République, François Mitterrand sort de deux années très compliquées puisque l’Assemblée nationale élue en mars 1986 voit la droite détenir la majorité absolue. Ce schéma politique entraîne la nomination de Jacque Chirac à Matignon le 20 mars 1986 et marque la première cohabitation de l’histoire de la Ve République. Las de cette situation, François Mitterrand dissout le 14 mai 1988 l’Assemblée nationale mais les élections qui suivent ne donnent cette fois qu’une majorité relative aux socialistes (275 députés sur 575). Derrière, la droite colle la gauche aux scores puisqu’elle recueille 271 députés.
Qui dit majorité relative, dit recours de l’article 49-3 de la Constitution. Cette législature sera notamment marquée par un nombre record du déclenchement de l’article 49-3 (39 reprises) permettant de faire passer un texte législatif en force.
1997 : le pari raté de Chirac
La cinquième dissolution s’opère dans un cadre politique complètement différent. A l’inverse de François Mitterrand, Jacques Chirac bénéficie, au moment de son entrée à l’Elysée en 1995, d’une très confortable assise parlementaire avec 483 députés sur les 577 composant l’Assemblée nationale. Celle-ci doit être renouvelée en 1998, et Jacques Chirac n’est pas sûr d’obtenir alors une répartition législative aussi avantageuse. Cette situation pousse le cinquième président de la Ve République à une dissolution anticipée de la chambre basse début juin 1997 avant que les choses n’empirent pour lui et son gouvernement en raison d’une crise économique.
Alors que le parti chiraquien est en tête des intentions de vote jusqu’aux derniers jours de la campagne législative, la « gauche plurielle » regroupant PS, PCF, radicaux de gauche, Verts et Mouvement des citoyens déjoue tous les pronostics et inflige une défaite cinglante à la droite qui perd 221 députés. Ce rassemblement des gauches remporte, lui, 215 sièges supplémentaires à la chambre basse et par conséquent, la majorité absolue pour gouverner. Le président de la République est contraint de nommer son principal opposant socialiste Lionel Jospin à Matignon. Nous assistons, à ce moment là, à la plus longue cohabitation de la Ve République (1997-2002).
2024 : le coup de génie ou le coup de folie de Macron
En 2022, pour la première fois depuis l’instauration du quinquennat et du « parlementarisme rationnalisé » avec des élections législatives qui ont lieu juste quelques semaines après l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a été reconduit dans ses fonctions pour un deuxième mandat mais sans majorité absolue.
Face à la succession des réformes impopulaires, à l’utilisation jugée excessive de l’article 49-3 pour faire passer les textes sans vote du Parlement, au capharnaüm de l’hémicycle de la chambre basse et à l’échec cuisant des élections européennes de ce dimanche, le chef de l’Etat a donc décidé de dissoudre l’Assemblée nationale en faisant « confiance » aux Français pour faire le choix le plus juste. Coup de génie ou coup de folie ? On se donne rendez-vous dans un mois pour le savoir.
A savoir que si, à la suite des prochaines élections législatives, la majorité absolue ne revient pas au parti présidentiel, alors nous assisterons pour la première fois de l’histoire de la Ve République à un gouvernement de cohabitation où le président de la République ne peut pas se représenter pour un troisième mandat consécutif. Les rapports de force seront alors complètement bouleversés.