Femme d’affaires et femme politique, Evelyne Renaud – Garabedian n’a de cesse d’ajouter de nouvelles cordes à son arc. Juriste de formation et entrepreneure dans de multiples domaines, elle est également Sénateur des Français établis hors de France depuis 2017. L’occasion de revenir avec elle sur son parcours atypique et passionnant.
Juriste de formation, vous dirigez plusieurs entreprises dans la logistique, l’hôtellerie et la restauration. Vous êtes également Sénateur des Français établis hors de France. Comment êtes-vous arrivée à la politique ?
Je suis tombée dans la politique comme Obélix dans la potion magique : par accident. Je suis associée avec Jean-Pierre Bansard depuis plus de 30 ans. Les activités de Bansard International, transitaire présent dans le monde entier, nous ont amenés à collaborer avec beaucoup de Français de l’étranger. Nous nous sommes vite rendu compte des problèmes qu’ils rencontraient dans leur vie quotidienne. Bernard Kouchner, à l’époque ministre des Affaires Etrangères – séduit par le charisme de Jean-Pierre – le nomme personnalité qualifiée à l’Assemblée des Français de l’étranger en 2011.
En 2014, nous créons ensemble l’Alliance Solidaire des Français de l’étranger (ASFE), avec le but d’aider les Français établis hors de France, où qu’ils se trouvent.
En 2017, grâce à notre travail, je suis élue Sénateur des Français de l’étranger aux côtés de Jean-Pierre Bansard. Notre liste fait – à la surprise générale, y compris la nôtre – deux sièges. Je représente les Français établis hors de France depuis cette date, et suis très heureuse de mettre mes compétences acquises dans la société civile au service de ce mandat.
Vous fréquentez en permanence deux mondes : le monde politique et le monde économique. Est-ce très différent ?
Dans le monde politique, les besoins nous viennent des citoyens, qui s’expriment directement ou via leurs élus locaux. Le rôle des parlementaires est d’exprimer ces besoins, de trouver des leviers politiques et législatifs pour répondre aux problématiques qui se présentent. Sur le papier, cela pourrait sembler assez simple, et plutôt concret. Sauf que la prise de décision y est beaucoup plus longue – sans doute en raison du nombre d’interlocuteurs et de décideurs – souvent n’aboutit pas, malgré un investissement et un travail personnel très important, et ce contrairement aux idées reçues. Souvent, nous remplissons notre devoir : exprimer un mécontentement, proposer des solutions, tout en sachant pertinemment que nous ne serons écoutés ni par le gouvernement, ni par son administration.
Pour quelqu’un qui vient du monde de l’entreprise, c’est évidemment extrêmement frustrant, car la notion d’efficacité est importante. En politique, c’est beaucoup moins le cas, car mon premier rôle est d’écouter et de transmettre, que cela fonctionne, ou bien que je ne sois pas entendue.
Malgré ces constations, j’essaie au quotidien d’apporter au monde politique ma façon d’aborder les problèmes : plus entrepreneuriale, plus proche du terrain et peut-être plus pragmatique. J’arrive parfois à trouver des solutions simples, de bon sens, là où un politique de carrière proposera des choses bien plus complexes et portées uniquement sur les idées. Une autre de mes particularités est également, par rapport aux autres élus que je vois, de travailler beaucoup en équipe, ce qui me vient également du monde de l’entreprise.
Le fait d’être une femme en politique aujourd’hui, le ressentez-vous comme un atout ou comme un handicap ?
Le monde politique est un lieu de pouvoir, où les décisions qui peuvent être prises vont avoir un impact considérable sur des millions de Français. Comme tous les lieux de pouvoir, c’est également l’endroit idéal pour que s’épanouissent rivalités et convoitises. Le propre d’une élection est d’ailleurs la compétition. Il faut être solide, que l’on soit un homme ou une femme d’ailleurs.
D’un point de vue personnel, je considère qu’être une femme a toujours été au cours de ma vie – et dans cette époque – un atout pour ma vie professionnelle, qu’elle soit entrepreneuriale ou politique. D’ailleurs, je ne serais sans doute pas élue si la loi n’imposait pas la parité sur les listes sénatoriales. Par contre, il est certain que je serais chef d’entreprise.
Mais j’ai d’abord et avant tout eu à cœur de mettre en avant mes connaissances et mes compétences techniques. Pour moi c’est la compétence qui doit toujours primer, bien avant le sexe.
Quelles femmes politiques vous ayant précédée admirez-vous et pour quelles raisons ?
Je suis admirative du parcours de Françoise Giroud. D’abord journaliste, elle a été secrétaire d’État chargée de la Condition féminine auprès du Premier ministre de l’époque, Jacques Chirac. Elle constatait que les femmes étaient une catégorie à part et pensait justement qu’il fallait qu’elles cessent de l’être.
Malgré des moyens limités, sa persévérance et ses actions ont permis de grandes avancées. D’elle je retiens surtout la phrase suivante : « la femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente ».
Vous êtes élue depuis près de six ans, soit pratiquement un mandat entier. Quel a été le moment le plus marquant de votre mandat ?
Il y en a eu énormément. En choisir un seul serait difficile. Mon entrée au Sénat, la première fois que j’ai pris la parole en hémicycle pour parler de la francophonie dans le monde… ma dernière intervention à la tribune sur les entrepreneurs français à l’étranger. J’ai rarement autant appris qu’au cours des six dernières années, sur tout : sur le plan technique, mais aussi humain.
S’il fallait retenir un seul moment néanmoins, ce serait sans doute le suivant. J’ai eu la chance d’être conviée au déplacement officiel du Président de la République en Israël, il y a de ça deux ans. Au retour, Emmanuel Macron m’a invitée à prendre l’avion présidentiel, et nous avons dîné ensemble. Nous étions six à table, à bord de cet avion, avec le Président de la République, un ministre et trois parlementaires. J’avoue que ce moment m’a profondément impressionné.
Du charisme de chef de l’Etat, à la vaisselle ornée « République française », tout était irréel. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à mes parents, tous deux immigrés de Bulgarie, d’origine arménienne, qui ont fui le régime communiste et sont arrivés à Paris sans rien. Ils ont dû tout reconstruire. La France leur a offert cette possibilité. Je crois qu’ils auraient été fiers.