Maître Johanna Kupfer est avocate aux barreaux de Paris et d’Israël. Diplômée de l’université Paris II Assas en droit des affaires et fiscalité, elle est à la tête depuis un an de son propre cabinet d’avocat. Basée à Tel Aviv, elle traite des contentieux entre la France et Israël dans le domaine de la fiscalité internationale, du droit pénal, du droit de la famille et du droit des femmes.
Lorsque vous arrivez en Israël il y a 7 ans, vous ne parlez pas un mot d’hébreu. Comment avez-vous fait pour obtenir vos équivalences de diplôme ?
Lorsque je suis arrivée en Israël, c’est à peine si je connaissais l’alphabet hébraïque dans le bon ordre ! Je ne me suis pas posé beaucoup de questions. J’ai rapidement compris que si je voulais exercer mon métier dans ce pays, je devais passer les examens d’équivalences, effectuer un stage et surtout réussir l’examen du barreau comme tout Israélien : en hébreu, avec pour seules facilités : un dictionnaire et du temps additionnel.
J’ai appris l’hébreu tout en révisant. Un peu moins de deux ans plus tard, j’étais avocate au barreau d’Israël. C’est surtout la pratique, la rencontre avec les tribunaux et un système judiciaire tout à fait diffèrent qui m’a vraiment permis d’être effective sur le plan professionnel.
Aujourd’hui vous enseignez l’hébreu juridique dans une association…
Exactement, je suis devenue enseignante pour l’AFJAH, l’association francophone des juristes et avocats hébraïsants qui est inscrite auprès du barreau de Paris. Mon but est de permettre aux étudiants, qui sont des juristes ayant vocation à exercer peut-être un jour en Israël, de se familiariser avec l’hébreu juridique et le système judiciaire israélien. C’est très stimulant et enrichissant. Parfois, ces étudiants ont plus d’années d’expérience que moi en France ! J’espère aussi les aider un peu à surmonter leur peur d’exercer ici, en leur montrant que, malgré un bon accent français, des moments de doute et de remise en question, on peut aussi faire ce métier que l’on aime tant en Israël.
Vous créez votre cabinet d’avocat il y a un an. Quelle part de votre activité occupent les affaires de violence à l’égard des femmes ?
Après avoir été formée en France puis en Israël auprès de grands cabinets, j’ai décidé de m’installer et de me consacrer à ce que j’aime faire : défendre. Aujourd’hui j’exerce principalement en droit pénal et en droit de la famille, tant en France qu’en Israël, et il est vrai que dans de nombreux cas, ces deux matières se rejoignent.
Les affaires de violences – pas uniquement à l’égard des femmes, car il existe de nombreux cas dans lesquels des hommes peuvent être victimes de violences même s’ils sont moins connus de l’opinion publique – occupent une majeure partie de mon activité. La lutte contre les violences est devenue ces dernières années une priorité tant en France qu’en Israël. La parole se libère. De nouvelles formes ont émergé et sont prises en compte par les tribunaux, avec une tendance à étendre la notion de violence : elle n’est plus seulement physique.
Quelles sont les situations les plus fréquentes auxquelles vous ayez à faire ?
La plupart de dossiers que je traite aujourd’hui ont une dominante pénale. J’exerce tant en droit pénal des affaires et fiscal qu’en droit pénal commun. L’intensification de la coopération entre les autorités françaises et israéliennes m’oblige à être compétente dans les deux droits, afin d’assister mes clients devant toutes les juridictions.
J’exerce également en droit de la famille, lors de procédure de divorces, qui, souvent, rencontrent un aspect contentieux.
Votre engagement d’avocate contre les violences faites aux femmes se poursuit-il sur le terrain associatif ?
Tout à fait. Nous avons créé, avec le docteur Beatrice Coscas Williams, un projet d’aide aux victimes francophones de violences en Israël. Il faut savoir que, contrairement à la France, la victime n’a pas sa place dans un procès pénal en Israël aujourd’hui. Elle n’est pas représentée par un avocat, c’est le parquet qui détient à la fois le rôle de mener l’action publique – donc de représenter l’Etat – et d’informer la victime. Toutefois, les intérêts de la victime et ceux de l’Etat ne coïncident pas toujours, et le parquet peut ainsi se retrouver en conflit d’intérêt.
Une victime rencontre souvent beaucoup d’obstacles pour déposer plainte. En cause, le barrage de la langue et le fait qu’elle ne puisse pas être accompagnée par un avocat dans son dépôt de plainte. C’est pourquoi, en attendant la mise en place d’une vraie représentation des victimes en Israël, nous voulons palier à ce déficit juridique, en formant des bénévoles qui pourront accompagner les victimes dans leurs démarches.
En tant que française, quel regard portez-vous sur le droit des femmes en Israël ? Comment évolue-t-il ?
En tant que française, mais surtout en tant que juriste, je fais le constat de lacunes procédurales concernant aussi bien les droits des victimes que les droits de la défense. Par exemple, la loi de 2001 sur les victimes d’infraction n’a pas de portée coercitive, ce qui signifie qu’il n’existe aucune sanction à son non-respect par le parquet ! Autre exemple, l’avocat ne peut être présent, tant en interrogatoire que lors du dépôt de plainte.
Il est vrai que les dossiers de violences familiales sont de plus en plus pris à cœur par les institutions judiciaires. Mais il reste beaucoup à faire. J’ai cette volonté, en tant que française, d’apporter nos acquis ici, afin de faire bouger les choses.