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Rapport d’information sur la réforme du corps diplomatique

La réforme de la haute fonction publique, dont découle la suppression des deux corps d’encadrement supérieur du Quai d’Orsay, a eu un large écho à l’intérieur de ce ministère qui a vécu, le 2 juin dernier, sa première grève depuis vingt ans.

Ce contexte inédit a conduit la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale a créer, le 21 septembre dernier, une mission d’information sur la réforme du corps diplomatique, conduite par les rapporteurs Arnaud Le Gall et Vincent Ledoux. L’objectif de la mission d’information et du groupe de travail était d’évaluer l’incidence de la réforme de la haute fonction publique sur le Quai d’Orsay et de faire des propositions sur l’avenir du corps diplomatique.

L’équipe de l’ASFE vous propose de revenir sur des points marquants de ce rapport dont la première partie traite des paramètres de la réforme et les réactions qu’elle a suscitées au sein du Quai d’Orsay, tandis que la deuxième partie porte sur l’appréciation de chacun des rapporteurs.

La réforme de la haute fonction publique :  des objectifs pluriels 

La réforme de l’encadrement supérieur de l’État a plusieurs objectifs affichés, elle ambitionne notamment de rendre la fonction publique :

Une réforme qui ne fait pas consensus

Une réforme nécessaire et encadrée selon le rapporteur Vincent Ledoux (Renaissance)

La réforme semble nécessaire pour prendre en compte l’évolution du contexte international, marqué par le retour des rapports de force entre puissances, ainsi que l’accroissement de la fonction européenne et internationale dans l’action publique. Par ailleurs, le travail des diplomates relève de plus en plus du champ de la « diplomatie publique », qui consiste à promouvoir l’image de son pays d’origine auprès de l’opinion publique de son pays d’accréditation, notamment dans des domaines techniques, comme la santé publique ou la lutte contre le réchauffement climatique.

Selon Vincent Ledoux, l’ouverture du Quai d’Orsay sur les autres administrations offre les gages de la préservation d’un outil diplomatique française de qualité. Elle n’entraînera en rien la perte du prestige de la diplomatie française, car aucun État étranger ne dispose d’un modèle administratif qui comporte l’équivalent d’un haut encadrement généraliste doté de garanties statutaires et d’un prestige social comparables à celui des hauts fonctionnaires français.

Cette réforme vise à décloisonner les carrières des diplomates et diversifier les carrières des hauts fonctionnaires en favorisant des parcours plus fluides au sein de l’administration de l’État, pour renforcer l’attractivité de la fonction publique. Le pilotage des carrières des hauts fonctionnaires en fonction de leurs compétences, et non plus en fonction de leurs corps permettra à l’État de mieux affecter les compétences dont il dispose en fonction de ses besoins. Ainsi pour le rapporteur, la réforme viendra « sécuriser » les nominations en luttant notamment contre le poids des réseaux qui sans même l’intervention du politique, contribue beaucoup à une forme d’arbitraire dans les affectations au Quai d’Orsay. 

Pour ce faire la réforme prévoit deux garde-fous :

– un examen des compétences, qui garantit la transparence et l’objectivation des conditions de nomination des diplomates. La plupart des postes à responsabilité seront de facto confiés aux agents qui auront fait leur carrière au MEAE ou, lorsqu’ils viennent de l’extérieur, à ceux qui auront effectué des mobilités au sein du ministère plus tôt dans leur carrière ;

–  la création d’une commission d’aptitude, chargée de formuler un avis sur l’aptitude professionnelle des personnes candidates à une première nomination en qualité de chef de mission diplomatique.  

En somme, pour le rapporteur Vincent Ledoux l’esprit de la réforme est de nature à garantir une formation de qualité et une ouverture des diplomates sur la société.  À cet égard, la création des « Prépas Talents » et l’ouverture d’une voie d’accès spécifique à l’INSP pour les élèves de ces classes préparatoires, qui accueillent des étudiants boursiers, concourent à la démocratisation de l’accès à la haute fonction publique. 

Par ailleurs, il considère la suppression du classement de sortie de l’ENA et l’affirmation du principe d’appariement comme une réponse apportée à une situation insatisfaisante, permettant de mieux orienter les talents de l’international vers le MEAE. Car actuellement, le classement de sortie contraint le Quai d’Orsay à devoir recruter des élèves qui n’ont pas toujours le profil pour devenir diplomates, mais qui souhaitent rejoindre le ministère pour son prestige. 

Enfin, la réforme se traduit par un effort très positif pour renforcer la formation des diplomates en la mettant en cohérence avec les évolutions en cours de leur métier, notamment en les formant aux compétences managériales et à la maîtrise des outils numériques.

Le rapporteur préconise toutefois d’accompagner la réforme d’un dispositif d’évaluation robuste permettant d’en assurer le suivi de ses effets, et qui doit donner lieu à publication annuelle.    

Le bien-fondé des états généraux de la diplomatie

Le rapporteur Vincent Ledoux reconnaît que les États généraux de la diplomatie sont l’occasion d’enrichir la réforme et de répondre au malaise, qui affecte le Quai d’Orsay, en permettant à ces personnels d’être des acteurs et de faire des propositions sur l’avenir des métiers diplomatiques et consulaires. Les états généraux constituent une opportunité d’engager d’autres réformes nécessaires pour le Quai d’Orsay afin de « réarmer » la diplomatie française, dans un contexte favorable marqué par la fin « de l’hémorragie des moyens budgétaires et humains la loi de finances pour 2023 ».

Une réforme nuisant à la qualité de la diplomatie française, selon le rapporteur Arnaud Le Gall (LFI)

Selon lui, cette réforme nuira profondément à la qualité de la diplomatie française, car le postulat selon lequel le MEAE est perçu comme étant un ministère fermé est erroné. Il avance que le Quai d’Orsay est l’une des administrations les plus ouvertes et les plus diversifiées, notamment parce qu’il est composé pour moitié d’agents contractuels et que les personnels qui composent l’encadrement supérieur du Quai d’Orsay en 2019, sont occupés par des personnels en détachement ou intégrés au MEAE. 

La réforme crée au Quai d’Orsay un séisme comparable à celui produit par la mise en place de l’ENA en 1945, qui avait privé le ministère d’une partie de son autonomie dans le recrutement des diplomates. Or, selon le rapporteur, l’exécutif donne l’impression de « naviguer à vue », ce qui ne peut que susciter inquiétudes et questionnements.  Le rapporteur interpelle sur le fait que cette réforme s’inscrit dans un mouvement de rénovation de l’État qui est axé essentiellement sur la volonté d’introduire des outils de l’entreprise dans la gestion publique, voire l’alignement de l’État sur les entreprises fortement marqué par les théories du « new public management ».

Le rapporteur justifie la défiance qui s’est manifestée vis-à-vis de cette réforme. 

Elle s’explique selon lui par :

Pour le rapporteur, l’interministérialisation peut constituer une entrave à la carrière des diplomates. Car elle concerne, à terme, toutes les catégories de personnels, ce qui se traduirait par une vraie perte de compétences et d’expérience. Le métier de diplomate est spécifique et se construit sur le temps long, au fil des affectations, par la sédimentation des expériences.

Il conclut que la nouvelle gestion par les compétences interministérielle est perçue comme un pari très risqué sur les capacités de l’État gestionnaire à garantir la préservation du métier diplomatique. Il est à craindre que la réforme vienne renforcer ce risque, favorisant ainsi « le fait du Prince ».

Arnaud Le Gall affirme qu’en supprimant le corps, la frontière entre le diplomate et le non-diplomate disparaît avec le risque, si la gestion par les compétences fonctionne mal, de diluer les compétences diplomatiques et de perdre ce qui faisait l’excellence de la diplomatie française. Selon lui la singularisation entraînée par cette réforme est d’autant plus dommageable que plusieurs pays partenaires considéraient la diplomatie de notre pays comme l’une des meilleures, si ce n’est la meilleure, au monde.

In fine pour les deux rapporteurs, il était d’opportun d’organiser une réflexion au champ large, qui ne se limite pas aux seules conséquences de la réforme de l’encadrement supérieur de l’État. Car il est incontestable que la diplomatie a besoin d’une réforme en profondeur pour retrouver du souffle. Toutefois, si pour le rapporteur Vincent Ledoux, cette réforme est mal comprise, car elle représente une opportunité pour notre diplomatie, le rapporteur Arnaud Le Gall considère pour sa part qu’elle nuira profondément à la qualité de la diplomatie française. Notons par ailleurs que de l’aveu même des acteurs de la réforme, il est reconnu qu’elle souffre d’un défaut de communication.

Pour en savoir plus sur la fonction diplomatique à l’étranger.

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