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La convention fiscale France-Turquie et les avancées récentes en matière d’échange de renseignements

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L’équipe de l’ASFE s’est entretenue avec Belgin Ozdilmen, représentante ASFE en Turquie, avocat inscrit au barreau d’Istanbul et anciennement inscrit au barreau de Paris. Dans ce témoignage nous parlons de la convention fiscale France-Turquie et des avancées récentes en matière d’échange de renseignements.

La France et la Turquie ont signé une convention fiscale le 18 février 1987 en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôt sur le revenu (« convention fiscale France-Turquie »). A quoi sert-elle? Pourquoi cette convention n’a-t-elle jamais été modifiée depuis sa signature?

La convention fiscale France-Turquie qui reprend le modèle de l’OCDE, a pour objectif d’éviter la double imposition en imposant au pays de la source de renoncer à une partie ou à la totalité de l’impôt sur certains types de revenus tirés par les résidents de l’autre pays contractant. A cette fin, elle confère des droits et impose des obligations aux deux Etats contractants dans le respect du principe de la réciprocité. Elle est de toute évidence destinée à bénéficier aux contribuables des Etats contractants.

Elle n’a jamais été modifiée depuis sa signature et semble être dépassée en raison de l’évolution du modèle de la convention fiscale de l’OCDE. En effet, ce modèle qui a été publié pour la première fois sous forme de projet en 1963, a été révisé en 1977, puis en 1992 et depuis, il a été modifié à neuf reprises, la dernière révision datant de 2014.

Tout comme le droit fiscal des Etats, les conventions fiscales bilatérales doivent faire l’objet de fréquentes modifications et interprétations pour s’adapter à l’évolution des circonstances. En théorie, le moyen le plus approprié de modifier une disposition conventionnelle est de procéder par voie d’amendement négocié entre les parties. Or, en pratique, la négociation d’un amendement est souvent extrêmement lente et difficile.

Fort heureusement, l’interprétation permet d’actualiser, dans une certaine mesure, les conventions fiscales sans passer par une procédure d’amendement formel. Ainsi, la convention fiscale France-Turquie prévoit que les autorités compétentes des deux Etats pourront résoudre, par voie d’accord amiable, les questions d’interprétation.

Que prévoit la convention fiscale France-Turquie en matière d’échange de renseignements ?

C’est à l’article 26 du modèle de convention de l’OCDE qu’est prévu l’échange de renseignements entre les deux Etats contractants. Cet article régit les échanges d’informations aux fins de recouvrement des impôts et de l’application des dispositions particulières de la convention. La clause d’échange de renseignements de la convention fiscale France-Turquie n’a pas été modifiée depuis 1987. Pourtant, de nombreuses modifications ont été réalisées sur le modèle de l’OCDE afin de lever les doutes sur l’interprétation qu’il convient de lui donner et pour tenir compte des évolutions récentes et des pratiques des pays.

Ainsi, l’article 26 de la convention fiscale France-Turquie a un champ d’application limité puisqu’il prévoit la possibilité d’échanger des informations uniquement lorsque celles-ci concernent les impôts visés par ladite convention. Aussi, doivent-elles présenter un caractère nécessaire pour le recouvrement de ces impôts ! Cet échange a lieu uniquement sur requête.

La France a formulé 19 demandes en 2019[1] à la Turquie et a reçu 22 réponses[2].

Il est important de souligner qu’aucune clause de la convention fiscale France-Turquie ne prévoit la levée du secret bancaire. L’article 26 de celle-ci ne permet pas de déroger à la législation locale qui pourrait exister en la matière.

Toutefois, dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux, la corruption ou le financement du terrorisme, des informations peuvent être communiquées à des autorités de l’Etat requérant autres que ses seules autorités fiscales.

Les lacunes de la convention fiscale France-Turquie en matière d’échange de renseignements et d’assistance administrative sont toutefois comblées par la convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale élaborée par le Conseil de l’Europe et l’OCDE et l’accord multilatéral entre autorités compétentes sur l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers.

Que prévoient la convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale et l’accord multilatéral entre autorités compétentes sur l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers ?

Tous les pays, y compris les plus réticents, sont incités à respecter les standards de l’OCDE en matière d’échanges d’informations, lesquels peuvent être sur demande, automatique ou spontanés. L’objectif est de promouvoir la transparence financière et fiscale.

Dans un tel contexte, la Turquie a signé la convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale (la « Convention ») le 3 novembre 2011. A l’heure actuelle plus de 141 pays y participent. Elle offre toutes les formes possibles de coopération fiscale pour combattre l’évasion et la fraude fiscale, y compris les échanges automatiques de renseignements.

Ainsi, sur la base de ce texte, l’accord multilatéral entre autorités compétentes sur l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers a été mis au point. La Turquie, désireuse d’améliorer le respect des obligations fiscales à l’échelle internationale, a signé cet accord le 21 avril 2017 et l’a ratifié le 31 décembre 2019.

Selon cet accord, les pays signataires doivent procéder, sur une base bilatérale, à un échange automatique de renseignements, par l’intermédiaire de leurs autorités compétentes en la matière, sur les titulaires de comptes dans un pays signataire et qui sont résidents fiscaux d’un autre pays signataire. Il n’est plus possible de mettre en avant le secret bancaire.

En 2018, l’OCDE dénombre plus de 4500 échanges d’informations relatives à 47 millions de comptes financiers pour une valeur totale d’environ 4.900 milliards d’euros. Ces informations ont permis à la communauté internationale de récupérer plus de 100 milliards d’euros de recettes supplémentaires (impôts, intérêts, pénalités)[3].

Comment s’organise cet échange automatique d’informations et en quoi consiste-t-il ?

L’échange d’informations se fait annuellement et de manière automatique. Il doit avoir lieu dans les neuf mois qui suivent l’année civile à laquelle elles se rapportent.

Le standard mis en place par l’OCDE prévoit que les Etats et territoires participants collectent auprès des institutions financières les éléments relatifs aux comptes financiers détenus par leurs résidents respectifs. Ce standard inclura prochainement les actifs numériques (tels que les crypto-monnaies).

Dès lors qu’il existe un élément d’extranéité, les principaux renseignements communiqués sur les comptes financiers sont :

Enfin, la confidentialité et la protection appropriée des renseignements échangés doivent être assurées.

La Turquie remplit-elle ses engagements en matière d’échange automatique de renseignements ?

La Turquie qui a transmis à l’OCDE la liste des pays avec lesquels elle a mis en place un échange automatique d’informations sur les comptes bancaires, a omis en 2020 certains pays de l’UE de son échange : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas, la France, la Bulgarie et la Roumanie. A la suite d’un tel refus, elle a évité de justesse un déclassement en février 2020 et reste sur la liste grise de l’Union Européenne. Sur cette liste grise, également appelée liste de surveillance, figurent les pays dont les engagements sont jugés suffisants par l’UE, mais leur mise en œuvre fait l’objet d’un suivi attentif.

La Turquie a bénéficié de plus de temps pour remplir ses engagements en matière d’échange automatique d’informations. Si elle ne tient pas ses engagements, elle finira sur la liste noire de l’UE qui est assortie de sanctions. Ces listes qui existent également au niveau de l’OCDE ont bien évidemment pour objectif de lutter contre les paradis fiscaux.

[1] Source: Annexe au projet de Loi de finances pour 2021 – Rapport annuel du gouvernement portant sur le réseau conventionnel de la France en matière d’échange de renseignements

[2] Des demandes envoyées à la fin d’une année ne font en général l’objet d’une réponse qu’au cours de l’année suivante

[3] Source: Rapport 2019 sur la mise en œuvre de l’échange automatique de renseignements de l’OCDE

Belgin Ozdilmen, avocat inscrit au barreau d’Istanbul et anciennement inscrit au barreau de Paris.
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