2020 restera dans les mémoires comme l’année où nous avons vécu une pandémie mondiale, sans commune mesure avec ce que nous avions connu jusqu’à présent. Le vaccin, ou plutôt les vaccins, commencent à être distribués un peu partout dans le monde. Pour autant, les questions n’ont jamais été aussi nombreuses. Nous avons donc interrogé deux professeurs de médecine reconnus – Pr Cacoub et Pr Halfon – pour obtenir leurs avis et conseils sur la question.
Si l’on en croit les sondages, les Français font partie des populations les plus réticentes à se faire vacciner, y compris parmi le personnel soignant. Dans le pays qui a vu naître Louis Pasteur, comment expliquez-vous cette méfiance ?
Un an après le début de la pandémie COVID-19, les mesures dites « barrières » mises en place dans de nombreux pays (distanciation sociale, lavage de mains, port du masque, confinement, couvre-feu….) ont permis, dans une certaine mesure, de limiter l’expansion de l’infection à SARS-CoV-2 sans toutefois résoudre complètement le problème. En effet, dans la plupart des pays, après la première vague du printemps 2020, puis la seconde vague de l’automne 2020, une troisième vague est soit présente, soit prévue à court terme. Ceci est lié en partie au fait que l’immunité collective, c’est-à-dire le pourcentage de la population qui a développé des anticorps anti-SARS-Cov-2, est insuffisante. A titre d’exemple, en France actuellement, on estime à 15-20 % environ la population qui présente ce type d’anticorps. Selon les experts, il faudrait que 40 à 70 % de la population ait développé une telle immunité pour que le cycle de transmission du virus s’arrête, et donc le risque d’infection et de maladie COVID-19 décroisse de façon importante.
Si l’on ne devait compter que sur le rôle de l’immunité naturellement acquise par les sujets qui ont déjà été infectés par le SARS-Cov-2, il faudrait donc attendre encore plusieurs années. De plus, la durée de persistance des anticorps développés lors de l’infection naturelle est très variable selon les individus et diminue avec le temps. Pour toutes ces raisons, des stratégies vaccinales ont été développées afin d’obtenir une protection individuelle des sujets vaccinés, et un niveau d’immunité collective rapidement suffisant pour stopper les chaines de transmission du SARS-Cov-2.
La méfiance des Français concernant la vaccination est paradoxalement historique, alors que nous sommes le pays qui a vu naître Louis Pasteur. Dans une enquête à paraitre (étude Coconel) sur 8 036 répondants Français, 27,5% ont manifesté un refus de se faire vacciner (29,2% parmi les 18-64 ans et 12,4% parmi les 65 ans et plus). Cette défiance vis-à-vis du vaccin est plurifactorielle, liée à la peur historique des Français face à la vaccination (relayée sans fondement scientifique, par certains médecins et lobby anti-vaccin) et dans le cadre de la pandémie actuelle, au délai exceptionnellement raccourci de développement d’un vaccin, avec une technologie jamais encore mise sur le marché (acides nucléiques) pour les premiers vaccins disponibles.
En principe, un vaccin prend des années de recherche et d’expérimentation pour être au point. Or en quelques mois seulement, plusieurs laboratoires affirment que leur vaccin est non seulement prêt, mais que le « pourcentage d’efficacité » dépasse les 90%. Comment est-ce possible ? Comment ne pas craindre des effets secondaires dont on n’aurait pas pu évaluer l’importance avec si peu de recul ?
- Quelques rappels sur les vaccinations
La vaccination consiste à présenter aux cellules de l’immunité une ou plusieurs parties du virus (antigène) afin d’apprendre au système immunitaire du sujet vacciné à reconnaître cet antigène comme « étranger ». Le sujet vacciné pourra ainsi développer plus rapidement, plus intensément et de façon plus prolongée ses propres défenses immunitaires (anticorps et cellules spécifiques de l’immunité).
Il y a plusieurs types de vaccins, qui utilisent des méthodes différentes de présentation de ces protéines virales à l’organisme que l’on souhaite protéger, sur lesquels nous allons revenir. Les objectifs principaux de la vaccination sont de permettre l’obtention d’une protection individuelle de chaque sujet vacciné, mais aussi une protection de groupe (immunité collective), de diminuer la transmission du virus et in fine de diminuer l’incidence de la maladie induite par l’infection virale.
Les risques de la vaccination sont également bien connus, notamment l’efficacité incomplète, les effets secondaires locaux ou généraux, voire une majoration de la maladie (lorsque le taux d’anticorps neutralisants ou la fonctionnalité de ces anticorps neutralisants sont insuffisants).
Le développement d’un vaccin nécessite des années de recherche et d’expérimentation pour être au point. Dans le cas du COVID-19, en quelques mois seulement, plusieurs laboratoires ont montré que leur vaccin est non seulement prêt, mais que le « pourcentage d’efficacité/protection » dépasse les 90%. Comment est-ce possible ? Le délai de développement exceptionnellement court de ces vaccins (6 mois entre la déclaration de l’épidémie et la mise en place des essais de phase 3, 10,5 mois pour les premiers résultats d’efficacité clinique, et moins d’un an pour le début de la vaccination) a été rendu possible grâce à une mobilisation mondiale exceptionnelle et la conjonction de plusieurs facteurs :
- les progrès scientifiques en immunologie et virologie, ayant permis par exemple le séquençage du coronavirus dès janvier 2020 ;
- l’existence de technologies développées antérieurement pour d’autres vaccins (plateformes vaccinales), en particulier en anticipation d’une maladie infectieuse émergente, qui ont pu être adaptées aux vaccins Covid-19 ;
- l’identification de la protéine S comme antigène de choix lors des épidémies précédentes de SARS et MERS ;
- l’exceptionnelle mobilisation des équipes de recherche et des Etats pour le financement ;
- la mobilisation des volontaires pour réaliser les essais cliniques rapidement ;
- l’anticipation des industriels et des Etats pour le développement industriel de la production ;
- l’évaluation très précoce et rapide (« rolling review ») par les agences réglementaires (FDA, EMA, …) ;
- l’ensemble de ces démarches a permis de raccourcir considérablement le développement et la mise sur la marche de ces vaccins de 10-15 ans à 12-24 mois.
Les Français de l’étranger vont se faire vacciner d’après le schéma proposé par leur pays d’origine, ou bien – en principe – avec le support des postes consulaires français. Or tous les pays ne vont pas distribuer le même vaccin. Pouvez-vous décrire brièvement les différents types de vaccin contre la COVID-19 qui existent aujourd’hui, qu’ils soient déjà autorisés ou en voie de l’être ?
- Les données actuelles de la vaccination anti-SARS-CoV-2
Concernant le SARS-CoV-2, la principale protéine (antigène) utilisée pour le développement des différents vaccins est la protéine S (Spike protéine). C’est elle qui donne l’aspect caractéristique en couronne au SARS-CoV-2. Elle permet à ce virus d’entrer dans la cellule cible via un récepteur spécifique. Il avait été montré, lors des infections précédentes à SARS-CoV-1, qu’une vaccination dirigée contre cette protéine S était très protectrice et évitait l’entrée cellulaire du virus dans l’organisme infecté.
Il y a, pour le SARS-CoV-2, 166 vaccins en développement parmi lesquels 27 sont déjà en phase clinique. Plusieurs grands types de vaccins sont en développement :
- Des vaccins à germe entier :
- soit à virus vivant atténué, qui permettent d’obtenir une réponse immunitaire complète, robuste et durable après une seule injection vaccinale. Ce type de vaccin est contre-indiqué en cas de déficit immunitaire (lié à des maladies immunologiques, à des traitements, ou congénital) car il y a un possible risque de recombinaison in vivo avec un risque de développer la maladie ;
- soit à virus inactivé grâce à des méthodes physiques ou chimiques : ils permettent d’obtenir une réponse anticorps adaptée à la conformation des protéines de surface du virus. La réponse immunitaire est moins complète et moins durable, d’où la nécessité d’une injection de rappel et de l’utilisation d’adjuvants (substances associées au vaccin pour augmenter ses performances) ; il n’y a pas de risque de développer la maladie.
2. Des vaccins utilisant des protéines ou des sous-unités virales :
- vaccins à sous-unité virale : ils utilisent une protéine virale reconnue comme antigène par le système immunitaire. Dans le cas du SARS-CoV-2, il s’agit de la protéine S associée à un adjuvant. Ils nécessitent des injections répétées ;
- vaccins à pseudo-particule virale : ils consistent en une particule virale sans son génome (ARN), ce qui écarte tout risque de maladie puisqu’il n’y aura pas de risque de réplication virale. Ils permettent une expression des protéines de surface du virus.
3. Des vaccins à vecteur viral (ou vaccins recombinants) :
- ils utilisent un virus inoffensif (le vecteur) modifié pour permettre de présenter au système immunitaire les antigènes d’intérêt du SARS-CoV-2. Ce vecteur viral permet l’expression des protéines du SARS-CoV-2. La réponse immunitaire est complète, robuste et durable. Le risque d’inefficacité est lié à une possible immunisation préalable contre le vecteur viral.
4. Les vaccins à base d’acide nucléique qui, dans le contexte du SARS-CoV-2 sont des vaccins à ARN messager :
- cette technologie, qui est la plus récente mise en place dans le cadre de la production des vaccins, utilise l’ARN messager du SARS-CoV-2 qui est inséré dans une petite particule lipophile qui lui permet de migrer dans les cellules de l’hôte. C’est la cellule de l’hôte qui exprime ainsi les protéines du SARS-CoV-2 à sa surface. Il ne peut pas y avoir d’intégration au sein de l’ADN (qui n’est présent que dans le noyau de la cellule hôte). Une des limites de cette technique est la fragilité de l’ARN messager qui est très vite dégradé, notamment lorsqu’il n’est pas conservé au froid. Dès juillet 2020, des expérimentations animales chez le chimpanzé ont démontré la protection apportée par ce type de vaccin, avec la production d’anticorps neutralisants dirigés contre le SARS-CoV-2.
Où en est-on actuellement de la production des vaccins anti-SARS-CoV-2 et de leur efficacité/sécurité ?
- Les deux premiers vaccins qui ont eu une autorisation de mise sur le marché aux États-Unis, puis en Union Européenne, sont des vaccins à ARN messager, utilisant la protéine S du virus. Il s’agit du vaccin de Pfizer/BioNTech et du vaccin de Moderna.
- La rapidité de développement de ces deux vaccins ne tient pas au hasard mais à plusieurs facteurs associés :
- cette technologie (ARN messager) a été mise au point depuis une dizaine d’années par plusieurs laboratoires spécialisés, notamment aux Etats-Unis. Elle avait déjà été utilisée avec succès avant la pandémie COVID-19 pour la production de vaccins contre le virus Ebola et contre celui de la grippe saisonnière.
- lorsque, en décembre 2019, les chercheurs chinois ont mis à disposition de la communauté scientifique la séquence d’ARN messager du SARS-CoV-2, les équipes spécialisées ont pu très rapidement mettre en production un vaccin dirigé contre la protéine S du virus.
- puis des moyens humains et financiers très importants, internationaux, ont permis de passer très rapidement des phases I et II (pré-cliniques) aux phases III (cliniques) de développement, amenant à des résultats publiés dans le dernier trimestre 2020.
- Les résultats d’efficacité sont assez proches entre ces deux vaccins à ARN messager, et excellents puisque se situant entre 94,5 et 95 %, lorsque l’on compare leurs effets de protection vis-à-vis de l’infection à SARS-CoV-2 à ceux de l’injection d’un placebo. Ces taux de couverture vaccinale sont obtenus après l’injection de la deuxième dose.
- Les données de tolérance à court terme sont rassurantes, les principaux effets secondaires étant transitoires et mineurs (fatigue, céphalées, douleur au point d’injection, douleurs musculaires). Il est bien entendu trop tôt pour savoir ce que sera la tolérance lorsque des dizaines, puis des centaines de millions de sujets seront vaccinés, ainsi que la tolérance à moyen et long termes. Ces éléments feront l’objet de suivis particulièrement rigoureux par toutes les équipes médico-scientifiques dans le monde, y compris dans des populations qui n’ont pas été testées dans les essais thérapeutiques initiaux (phase IV).
Si demain j’ai le choix entre le vaccin que me propose mon pays de résidence, ou le (les ?) vaccin(s) distribué par la France, et qu’ils ne sont pas les mêmes, que préconisez-vous ? Est-il préférable que j’attende pour bénéficier du vaccin français, ou au contraire, la seule chose importante est de se faire vacciner le plus vite possible ?
En France, à ce jour seul le vaccin ARN messager de Pfizer est disponible et l’organisation de la vaccination fait polémique quant à sa lenteur de mise en place administrative et logistique. Celui de Moderna basé sur la même technologie devrait suivre. Le consortium vaccinal français Sanofi/Pasteur/Etat a annoncé un retard dans la mise sur le marché de son vaccin. En conséquence, nous encourageons à ne pas attendre pour se faire vacciner car la circulation du virus est encore très importante sur tout le territoire et dans certaines régions du monde.
Ce vaccin va constituer une arme préventive efficace et complémentaire aux mesures barrières déjà mise en place pour se protéger contre la Covid-19. Il est probable que de nombreux pays vont obliger cette vaccination avant l’entrée sur leur territoire comme cela est déjà le cas pour certains vaccins (exemple du vaccin contre la fièvre jaune avant d’entrée dans certaines zones géographiques). A titre collectif, les personnes non vaccinées vont constituer un réservoir de virus avec des conséquences évidentes en termes de mortalité et morbidité pour la santé publique mondiale si la part des personnes qui ne se fait pas vacciner est importante.
- Questions non résolues
Au 4 janvier 2021, plus de 10 millions d’individus ont pu bénéficier d’une vaccination anti-SARS-CoV-2 avec très peu d’effets secondaires et une très bonne tolérance. Il persiste toutefois de nombreuses difficultés en termes d’approvisionnement et de logistique, et des problèmes d’adhésion à la vaccination. De nombreuses questions restent encore en suspens et qui devraient trouver une réponse dans les mois à venir: effets sur le portage et la transmission du SARS-CoV-2, maintien de la protection vaccinale à moyen et long termes, nécessité d’une re-vaccination, intérêt d’une vaccination pour les personnes préalablement infectées, quel type de vaccin pour quelle population, sécurité des vaccins à long terme, enfin efficacité du vaccin sur les souches mutantes.
From Krammer F. Nature 2020
Pr Patrice Cacoub, Département de Médecine Interne et Immunologie Clinique. Hôpital La Pitié-Salpêtrière et Sorbonne Université. Paris, France.
Dr Philippe Halfon, Département de Médecine Interne et de Maladies Infectieuses. Hôpital Européen – Laboratoire Alphabio. Marseille, France.
Les Prs Cacoub et Halfon déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt avec un fabriquant de vaccin contre la COVID-19.