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Géorgie : « Le scrutin a été entaché par des conditions de campagne très inégalitaires »

Le samedi 26 octobre dernier, la Géorgie organisait des élections législatives déterminantes pour l’avenir du pays. Dans les candidatures, deux se détachent nettement du lot : le parti pro-russe Rêve géorgien face à une coalition politique pro européenne. Retour sur cet événement décisif pour ce pays du Caucase avec Beatrice Peluso, ancienne salariée ASFE et expatriée à Tbilissi. 

Tous les Géorgiens étaient appelés aux urnes samedi dernier pour les élections législatives. Dans les candidatures, deux retiennent principalement l’attention des votants : le parti prorusse au pouvoir en Géorgie « Rêve géorgien » et l’opposition soutenue par une coalition pro-européenne ainsi que par la présidente de la République géorgienne. Pouvez-vous nous communiquer le résultat officiel de ce scrutin ? Comment s’est déroulé ce scrutin selon les observateurs internationaux déployés sur place ?

Les résultats publiés par la commission électorale centrale de Géorgie, montrent que le parti au pouvoir, Rêve géorgien, a obtenu 54 % des voix, tandis que la coalition unie de l’opposition en a recueilli 38,15 %. Avec ce score le Rêve géorgien récupérerait 89 sièges et l’opposition 61. Le parti au pouvoir ne dispose donc pas de la majorité constitutionnelle (113 voix), nécessaire pour des modifications unilatérales de la constitution. 

Les observateurs internationaux étaient présents en grand nombre sur place pour le compte de plusieurs organisations dont l’OTAN, le Parlement européen ou encore l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Selon le rapport de la mission d’observation sur la conduite des élections de l’OSCE, le cadre légal en vigueur en Géorgie donne dans l’ensemble une base adéquate pour la tenue d’élections démocratiques. Toutefois le scrutin a été entaché par des conditions de campagne très inégalitaires entre les candidats et par des actions d’intimidation et de coercition envers les électeurs ainsi que des incohérences procédurales le jour des élections. 

Face à ce résultat, la présidente de la République et les partis pro-européens ont même appelé à des manifestations après la victoire déclarée du parti « Rêve géorgien ». Pourquoi l’opposition pro européenne refuse de concéder sa défaite ?

Effectivement, le résultat des élections a aussi été très contesté par la coalition d’opposition qui refuse de reconnaître la victoire du Rêve géorgien. La présidente de la république géorgienne, Salomé Zourabichvili,  a dénoncé une “falsification totale” des élections législatives résultant d’une “opération spéciale russe” et appelé à une première manifestation devant le parlement.  Des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Tbilissi lundi soir pour réclamer de nouvelles élections, beaucoup brandissant des drapeaux de l’Union européenne et de la Géorgie, mais la foule était moins nombreuse que lors des manifestations organisées cet été par des groupes de la société civile contre certaines lois considérées autoritaires.  Les dirigeants de l’opposition ont dispersé les manifestants, déclarant qu’ils décideraient d’autres actions dans les jours à venir.

Quelles sont les premières réactions internationales aux résultats des élections en Géorgie ?

Les élections géorgiennes ont été suivies de près par l’ensemble des partenaires internationaux de la Géorgie et notamment par l’Union européenne.  La Géorgie est connue pour être l’un des pays candidats les plus favorables à l’UE, avec 80 % de sa population se disant favorable à adhérer à l’Union. Pour rappel, la Géorgie avait obtenu le statut de candidat officiel le 14 décembre 2023 avant que la perspective européenne du pays ne soit “suspendue”, le 27 juin 2024, après l’adoption d’une succession de lois par le gouvernement géorgien mettant à mal l’approximation avec la réglementation européenne. 

La Hongrie a été le premier pays de l’Union européenne à reconnaître les résultats du scrutin géorgien et le premier ministre hongrois s’est rendu à Tbilissi pour féliciter le gouvernement. Les pays voisins de la Géorgie, notamment Russie, Turquie, Azerbaïdjan et Arménie ont eux aussi reconnu les résultats des élections. L’UE et 13 de ses États membres ont appelé les autorités géorgiennes à veiller à ce que les irrégularités électorales fassent l’objet d’une enquête rapide, transparente et indépendante. 

Pouvez-vous nous en dire davantage sur le “Rêve géorgien” et son fondateur, le milliardaire Bidzina Ivanichvili ?

Le Rêve géorgien a été fondé par Bidzina Ivanichvili en 2012. Cet homme d’affaires de 68 ans, considéré comme étant l’homme le plus riche du pays (son patrimoine représenterait un quart du PIB de la Géorgie), domine la politique géorgienne depuis plus de dix ans. En 2012, à son entrée en politique, il réunit les forces politiques qui s’opposaient au président Saakashvili, critiqué pour son penchant autoritaire, sous la bannière du Rêve gérogien. Aux élections de la même année, le Rêve géorgien arrive en tête, avec la promesse de mettre en œuvre des réformes économiques et un rapprochement avec l’Union européenne et l’OTAN. Depuis, le parti a toujours gagné les élections avec une solide majorité (2020 – 48.22%, 2016 – 48.68%) et son fondateur Bidzina Ivanichvili, bien que n’occupant aucune fonction institutionnelle, reste de facto le véritable décideur de la ligne politique tenue par le gouvernement. Au cours des deux dernières années, la dialectique pro-européenne a laissé la place à une position beaucoup hostile, vis-à-vis de l’Union européenne, de ses États membres ainsi que des États Unis. Le Rêve géorgien a aussi progressivement augmenté son emprise à tous les niveaux de la structure étatique et aujourd’hui nous assistons à une dérive de plus en plus autoritaire. 

Comment voyez-vous la suite des événements ? La Géorgie s’est-elle enfoncée dans une grave crise politique ?

Différents scénarios sont possibles: I) la contestation populaire pourrait prendre de l’ampleur et engendrer une grave crise politique et sociale (même si ce scénario paraît peu probable pour l’instant) II) le renforcement de la trajectoire autoritaire du parti au pouvoir Rêve georgien qui pourrait entamer la mise en œuvre de ses promesses électorales les plus radicales (comme la suppression de tous les partis d’opposition) III) la tentative d’un rétablissement des relations avec l’Union européenne et les États unis (scénario qui pourrait être envisageable après le déclarations de certains membres du Rêve géorgien après les élections).

Beatrice Peluso, ancienne salariée de l’ASFE et expatriée à Tbilissi.
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