Le vendredi 19 janvier, la France et l’Allemagne ont lancé un fonds de recherche sur la provenance des oeuvres d’art du continent africain présentes dans les grands musées européens. L’occasion pour l’ASFE de présenter ce fonds.
La restitution : l’approche franco-allemande pour résoudre un sujet tabou
Selon les experts, 85 à 90 % du patrimoine africain serait aujourd’hui hors du continent. La question de la restitution des biens culturels pris aux pays africains durant la colonisation s’est imposée comme un sujet d’intérêt majeur, à la fois pour les anciens empires coloniaux qui détiennent ces biens au sein de leurs musées, ainsi que pour les pays africains lésés de leur patrimoine culturel. La question de la restitution a longtemps été un sujet tabou et complexe notamment en raison des règles juridiques consacrant le caractère inaliénable du patrimoine. Les mutations en cours des relations entre certains pays européens et les pays africains ont conduit à une prise de conscience sur la nécessité de répondre favorablement à la demande des pays africains souhaitant que leurs biens culturels leur soient rendus. Les pays africains motivent surtout leur réclamation par leur volonté de permettre aux populations de renouer avec leur identité culturelle à travers ses œuvres.
C’est dans cette perspective que certains pays européens, comme la France et l’Allemagne, ont déjà procédé à la restitution des œuvres à quelques pays africains. Si l’histoire coloniale africaine de ces deux pays est cependant très différente et fut beaucoup moins longue et importante pour l’Allemagne, cette dernière dispose dans ses musées de nombreuses œuvres provenant de pays africains. En France, en 2018, le président de la République Emmanuel Macron s’est vu remettre le rapport Sarr-Savoy sur la restitution du Patrimoine africain qu’il avait commandé à Bénédicte Savoy, professeure d’histoire de l’art à l’Université technique de Berlin, et Felwine Sarr, professeur d’économie à l’université Gaston-Berger au Sénégal. Tenant compte de certaines recommandations de ce rapport, la France avait procédé à des restitutions. Ainsi, en 2021, 26 œuvres d’art ont été restituées au Bénin.
L’Allemagne quant à elle a procédé en 2022 à la restitution au Nigeria des bronzes du Royaume du Bénin.
La création d’un fonds franco-allemand
Jusqu’ici engagés séparément sur cette question, la France et l’Allemagne ont choisi une approche commune.
En 2023, la France et l’Allemagne ont décidé, dans le cadre de la coopération bilatérale, de s’associer pour créer un Fonds franco-allemand. Ce fonds d’une durée d’expérimentation de trois ans est consacré à la recherche de provenance d’objets et d’œuvres d’art originaires des pays de l’Afrique sub-saharienne présents dans leurs collections.
Ce dispositif a été déployé le 19 janvier 2024 et est doté de 2 millions d’euros.
Cette démarche s’oriente en particulier vers les pays où les deux États ont un passif colonial, comme le Cameroun et le Togo.
L’objectif de ce fonds consiste à identifier la provenance des objets d’art, depuis leur création jusqu’à leur entrée dans les collections des institutions culturelles, universitaires. La phase d’étude est une étape essentielle dans la démarche de ce fonds. Particulièrement, parce que le parcours d’acquisition reste encore aujourd’hui insuffisamment documenté et fréquemment constitué d’informations parcellaires.
Dans le cadre de cette coopération, la France et l’Allemagne entendent mettre en synergie leurs ressources humaines, matérielles et leurs données, afin de documenter la manière dont certains objets d’art sont entrés dans leurs institutions, qu’elles soient culturelles, universitaires ou de recherche.
Modalités de fonctionnement du fonds
Le rôle central du conseil scientifique
Le fonds franco-allemand est placé sous la direction de scientifiques de renom doté d’une expertise sur le sujet du patrimoine africain.
Placé sous la direction du philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, le fonds s’appuie sur des personnes qualifiées dans une logique de mutualisation des compétences. Le conseil scientifique se compense ainsi de spécialistes français, allemands et subsahariens. Les experts composant le conseil sont chargés de la rédaction des appels à projets publics et de la sélection des programmes éligibles.
Basé à Berlin, le centre franco-allemand de recherche en sciences sociales, Marc Bloch, a été désigné pour être la structure porteuse du projet. C’est notamment à travers ce centre que s’opère la mise en réseau des structures mobilisées, notamment les universités ainsi que les centres de recherche des deux pays.
Le conseil scientifique est chargé de définir :
• Le programme du fonds
• Le processus d’évaluation des projets et la sélection finale
Les chercheurs devront constituer un réseau franco-allemand avec un partenaire basé en Afrique, l’objectif étant aussi d’intensifier la collaboration avec les professionnels africains pour éviter les récits biaisés.
À noter que les projets de recherche seront sélectionnés à travers des appels à projets publics et évalués au regard de leur qualité et de leur intérêt scientifique, mais aussi de leur caractère innovant dans le domaine de la recherche de provenance.
La mise en place de ce fonds vient concrétiser l’association entre les deux pays. Il ouvre la possibilité de retracer l’historique des propriétaires des objets d’arts africains de leur création en Afrique subsaharienne à leur entrée dans les collections françaises et allemandes. Cette démarche illustre la volonté manifeste pour les deux pays de traiter un pan de la question de leur passé colonial et leur volonté de redéfinir leur relation avec les pays africains concernés. Les pays africains concernés sont impliqués dans la démarche de la restitution.
Conditions d’éligibilité
Missionné pour une durée de trois ans, ce fonds à vocation à soutenir des projets de recherche portés par des consortiums regroupant des entités Françaises, Allemandes et Africaines, ce fonds fonctionne sur la base d’appel à projets. Pour être éligibles, les chercheurs devront constituer un réseau franco-allemand avec un partenaire basé en Afrique, l’objectif étant aussi d’intensifier la collaboration avec les professionnels africains pour éviter les récits biaisés. Afin d’étudier et de documenter comment sont entrés les objets d’art originaires des pays africains sub-sahariens dans les collections françaises et allemandes, seuls les programmes les plus pertinents dans le domaine de la recherche de provenance, avec un fort degré d’innovation, seront jugés éligibles par le groupe d’experts.
Cette coopération d’un genre nouveau entre les deux pays s’inscrit dans une démarche de réparation symbolique visant à consolider les relations entre l’Afrique et l’Europe dans un contexte hautement compétitif. La France et l’Allemagne démontrent ainsi leur volonté d’impulser une dynamique solidaire entre pays européens vis-à-vis du continent africain. D’ailleurs à l’issue de ces trois années d’expérimentation, les résultats du fonds seront présentés devant les instances européennes.