Un vent de jacquerie venu des campagnes profondes souffle sur la France depuis quelques jours. La colère s’étend d’ailleurs à toute l’Europe, en Allemagne comme aux Pays-Bas ou en Pologne. Mais, partout, les causes ne sont pas les mêmes. Dans les pays d’Europe centrale, c’est la concurrence des céréales en provenance d’Ukraine, à des volumes plus importants qu’avant l’invasion russe, qui explique la grogne.
En France, le monde paysan, singulièrement celui des petites exploitations et de l’élevage, se mobilise sur trois fronts : contre les normes toujours plus contraignantes imposées par l’Union européenne ; contre la hausse des taxes sur le diesel non routier ; et contre les obligations nées des transitions énergétique et écologique.
La crainte du gouvernement est que cette fronde se transforme en un mouvement comparable à celui des Gilets jaunes, qui agrège éventuellement d’autres mécontentements, et qui dégénère dans la violence. La mort accidentelle d’une manifestante est déjà à déplorer. Néanmoins, contrairement au mouvement des Gilets jaunes, les agriculteurs sont organisés, sont encadrés par des patrons de syndicats et portent des revendications précises.
Selon le président du puissant syndicat agricole FNSEA, Arnaud Rousseau, le ferment de la colère est « l’incompréhension grandissante entre la réalité de la pratique du métier d’agriculteur sur le terrain et les décisions administratives centralisées, qu’elles soient à Bruxelles ou dans les capitales européennes ». Le président de la chambre d’agriculture du Cher, Etienne Gangneron, ajoute, quant à lui, que « la pénibilité physique a laissé peu à peu la place à une pénibilité morale qui est due notamment à l’édiction de règles et de normes de plus en plus lourdes à supporter ». Les agriculteurs dénoncent la lenteur du pouvoir exécutif à mettre en oeuvre les simplifications administratives promises. Ils estiment également que les indemnisations pour les filières les plus en crise (viticulture, élevage) sont trop lentes, ruinant l’attractivité dont le secteur a besoin pour renouveler ses chefs d’exploitations vieillissants.
Si la France reste la première bénéficiaire de la Politique agricole commune (PAC) avec 9 milliards d’euros d’aides par an, le monde paysan dénonce la stratégie de « verdissement » de l’agriculture européenne. La réduction de moitié, d’ici à 2030, de l’utilisation des produits phytosanitaires chimiques a certes été rejetée par le Parlement européen. Mais ce projet peut revenir et le refus de Bruxelles de prolonger cette année la dérogation permettant de mettre en culture les terres en jachère, alors que la tension alimentaire provoquée par la guerre en Ukraine se poursuit, a été très mal acceptée. Les autres sujets brûlants concernent la nouvelle cartographie européenne des tourbières et des zones humides, cibles des militants écologistes.
Alors que le Salon de l’agriculture ouvrira ses portes dans un mois, le 24 février, la pression risque de monter, incitant peut-être le gouvernement et l’Union européenne à lâcher du lest d’ici là…