L’équipe de l’ASFE a eu l’occasion de s’entretenir avec Ara Toranian – journaliste et président du Comité de coordination des organisations arméniennes françaises (CCAF) – sur le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et la situation actuelle en Haut-Karabakh.
Il y a un mois, l’Azerbaïdjan a lancé une offensive militaire sur la région du Haut-Karabakh, pouvez-vous nous expliquer les enjeux autour de cette enclave ?
Il s’agit pour l’Azerbaïdjan d’occuper ce territoire, de le vider de sa population arménienne, après 9 mois de blocus totalement hermétique visant à affamer cette population. Ce nettoyage ethnique, après l’évacuation forcée et totale des Arméniens de la province du Nakhichevan, où ils représentaient là aussi une majorité absolue lorsqu’elle a été attribué par Staline à l’Azerbaïdjan, s’inscrit dans le vaste plan génocidaire panturc. Cette politique a commencé avec les massacres de 1894-95 perpétrés par le Sultan Habdul Hamid, ceux d’Adana en 1909, le génocide de 1915, les massacres de Chouchi en 1920. Elle a continué avec les pogroms de Soumgaït en 1988, de Bakou et de Kirovabad en 1990.
Près de 100 000 Arméniens ont fui le Haut-Karabakh ces derniers jours. Des spécialistes et des diplomates parlent d’épuration ethnique. Pouvez-vous nous dire quelle est la situation actuelle ?
L’Azerbaïdjan a réalisé son objectif. Le nettoyage ethnique a été réalisé à 100%. Il ne reste plus aucun arménien sur cette terre où ils vivaient de façon avérée depuis l’époque d’Alexandre le Grand. Le Haut-Karabakh représentait un bouclier stratégique pour la protection de l’intégrité territoriale de l’Arménie. Ce bouclier étant tombé, le régime Aliev et son allié Erdogan ont la voie libre, du moins sur le plan militaire, pour passer à la finalisation de leur projet : l’occupation du sud de l’Arménie, dans le but de réaliser une continuité territoriale avec la Turquie, via le Nakhichevan. Condition pour l’annihilation définitive de l’Arménie.
Quelle est la position de l’Union européenne et plus généralement des Occidentaux quant à ce conflit ?
Cette tentative par achèvement du génocide de 1915, sous le regard impuissant, voire indifférent de l’Union européenne et de l’Occident, signe une faillite de leurs principes ainsi que du droit international. Le gaz de Bakou a pesé plus lourd que le sang des Arméniens. La raison du plus fort l’a emporté. C’est le triomphe du totalitarisme panturc sur la petite démocratie arménienne.
Quel est le rôle de la Russie dans ce conflit ?
La Russie de Poutine, empêtrée dans la guerre en Ukraine et en connivence avec les régimes autocratiques d’Aliev et d’Erdogan, a trahi sa mission historique revendiquée – à défaut d’avoir toujours été réelle-, de défense des chrétiens d’Orient. Cette incurie s’inscrit aussi dans la radicalisation anti-occidentale de Moscou ces dernières années, et sa volonté de punir l’Arménie démocratique qui a fait une révolution de velours en avril 2018.
Début octobre, une mission de l’ONU est arrivée au Haut-Karabakh pour la première fois depuis trente ans. Quelles sont ses tâches et qu’en attendez-vous ?
Cette mission de l’ONU a été une mascarade ignoble. Cette visite guidée a eu lieu quand tout était fini, dans un territoire vidé de sa population arménienne. Elle a été le dernier clou dans le cercueil de l’Artsakh, et la dernière ignominie de la communauté internationale dans cette affaire.
En France, des voix s’élèvent pour réclamer des sanctions européennes contre l’Azerbaïdjan, y compris contre la famille du président Ilham Aliev, que pensez-vous de ces prises de position ?
Il y a longtemps qu’on aurait dû décréter des sanctions contre le régime Aliev, l’une des pires dictatures de la planète. A l’instar des mesures prises contre la Russie après son agression contre l’Ukraine. On l’a regardé dérouler son plan depuis 2020. Sans réagir autrement qu’à travers de vagues réprimandes verbales. Même après la réalisation du nettoyage ethnique, certains ont cru devoir estimer au sommet de l’Etat que « le moment n’était pas aux sanctions ». Il n’a pas été non plus à l’assistance militaire, ni même diplomatique. Pas de demande de résolution à l’ONU. Le crime a été comme en 1915 totalement payant. Erdogan et Aliev auraient, dans ces conditions, tort de se gêner. Le premier peuple de l’histoire à avoir adopté le christianisme comme religion d’Etat en l’an 301 court un vrai danger de disparition. Avec elle, c’en sera fini du peu qu’il reste de diversité et de liberté dans cette région du monde.
Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Cette situation affecte non seulement les populations sur place. Mais elle touche des millions de Français, bien au-delà des survivants du génocide de 1915 qui avaient trouvé refuge en France dans les années 1920. Au-delà du drame humain et culturel qu’elle représente, elle pose également la question politique essentielle de notre capacité collective à nous opposer à la barbarie et à protéger nos amis.