Israël vient de vivre, samedi 7 octobre 2023 – jour de fête : simhat torah et shabbat – un des épisodes terroristes les plus violents de son histoire. Le Hamas a organisé une opération qui a tué des centaines, sans doute des milliers de personnes – en grande majorité de civils – et Israël mettra probablement un temps certain à compter tous ses morts. Retour sur cette journée dramatique avec Johann Habib, Conseiller des Français de l’étranger pour Israël, circonscription de Tel-Aviv.
Pour ceux qui ne connaîtraient que superficiellement la situation géopolitique au Proche-Orient, et qui pourraient voir cette attaque terroriste comme le nouvel épisode d’un conflit qui dure, pouvez-vous nous dire en quoi ce qui s’est passé samedi est foncièrement différent ?
C’est la première fois depuis la création de l’État d’Israël en 1948 que des unités terroristes s’infiltrent sur le territoire en si grand nombre et de manière aussi coordonnée, prenant totalement possession de localités, assassinant massivement et systématiquement des populations civiles et prenant en otage des familles entières. Dans le même temps, plusieurs milliers de missiles ont été tirés sur tout le sud et le centre d’Israël, et même si le “dôme de fer” (système israélien de défense antimissile) en a arrêté la plupart, certains sont quand même passés à travers et les éclats d’obus peuvent également créer des dégâts importants, tant matériels qu’humains.
Vous résidez à Tel-Aviv. Comment avez-vous vécu, personnellement, la journée de samedi et les jours qui ont suivi ?
Nous avons été réveillés à 6h par les sirènes d’alerte ou plus exactement par le chien qui aboyait à cause de la sirène (!) Puis nous avons allumé la télévision et la sidération due à l’ampleur et la nature de l’attaque nous a emparé. Très vite, nous avons été sollicités par des dizaines d’appels et messages de nos familles, de nos amis et de nos collègues. La tristesse et la rage devant le nombre de victimes étaient très présentes. Cette journée de samedi a été rythmée par de nombreuses alertes aux missiles et déflagrations autour de nous. Les informations qui nous parvenaient étaient de plus en plus dramatiques. On a compris qu’on vivait, ni plus ni moins, un 11 septembre ou un Bataclan israélien.
La suite de la journée, nous avons commencé à organiser notre vie immédiate en fonction de cette situation inédite, écoles et entreprises fermées, administrations en état d’urgence, rappel de réservistes et conscrits à rentrer immédiatement dans leurs bases ou ailleurs. La nuit a été un peu plus calme à Tel Aviv, mais la tension était très palpable dans le sud, toujours cible de missiles. Le lendemain, dimanche, la question “comment est-ce possible ?” est devenue obsédante, tant dans nos esprits que dans les médias. Personne autour de nous n’est allé travailler.
Vous représentez les – très nombreux, de l’ordre de 100 000 – Français qui vivent en Israël. Parmi les victimes se trouvent également des franco-israéliens. Quel est le sentiment de la communauté française sur place ? Quel est le rôle des autorités françaises et le vôtre dans cette situation ?
Dès dimanche, l’initiative privée a commencé à s’organiser. Il faut comprendre que la plupart des Français sont également Israéliens et qu’ils sont très impliqués dans la vie civile et militaire israélienne : à partir de 18 ans, les garçons sont appelés pour 3 ans d’armée, les filles pour 2 ans, et ils sont souvent réservistes durant plusieurs années après leur conscription. Ce sont nos enfants, nos parents, nos neveux nos amis, donc l’armée fait partie de notre vie quotidienne et sociale.
Samedi, le consulat de France a émis deux e-mails pour appeler les Français d’Israël à rester vigilants et à suivre les consignes des autorités locales. Il a été disponible dès samedi pour des permanences. A titre personnel, j’ai aidé plusieurs Français de passage en Israël à trouver un vol retour, de nombreuses compagnies ayant annulé les voyages. Les services du Ministère – Arianne, en lien avec France connect – ont été très efficaces. On sait qu’il y a des Français parmi les victimes et les otages, mais le nombre et l’identité ne nous sont pas connus pour l’instant. Nous essayons d’aider les familles à avoir des informations sur leurs proches qui ne répondent pas. Chaque cas est unique. Il existe d’autres initiatives que, pour des raisons que vous comprendrez, je ne peux détailler ici.
La rapidité et la violence de cette attaque terroriste semblent incompréhensibles dans un pays où la sécurité est une priorité absolue. A-t-on d’ores et déjà des explications sur comment cela a pu se produire ?
Cette question est effectivement LA question que tout le monde se pose. Comment ont-ils pu franchir la frontière, pourquoi la réaction a-t-elle été aussi tardive ? Il n’y a à ce jour que des hypothèses de piratage des systèmes de communication et un travail par le Hamas de renseignement et de préparation en amont extrêmement minutieux. Comme le disent bien des analystes : le temps est à l’action, viendra plus tard le temps des questions. Il faut d’abord gagner cette guerre.
A votre sens, quelles seront les conséquences, immédiates et à moyen terme, de cette attaque terroriste ?
Dans l’immédiat, il faut gagner cette guerre, Israël n’a juste pas le choix. Un gouvernement d’union nationale est, au moment où je vous écris, en train de se mettre en place afin de faire entrer, dans le gouvernement et le cabinet de sécurité, les responsables des forces principales d’opposition, dont Benny Ganz, ancien chef d’état-major des armées et ancien ministre de la Défense. Après la guerre viendront effectivement les questions et il sera sans doute vital de pointer les responsabilités.
A mon avis le clivage né de la contestation de la réforme judiciaire a laissé paraître un affaiblissement du pays, ce qui a sans doute été une des motivations de cette attaque avec, bien entendu, le rapprochement d’avec l’Arabie Saoudite. J’espère vraiment que ce processus ne sera pas suspendu, car c’est un réel espoir de stabilité dans la région. Je ne m’aventurerai pas à parler d’un changement de gouvernement car trop de paramètres entrent en jeu, notamment l’issue rapide du conflit, et la mise en évidence des responsabilités. Mais, il y aura bien un avant et un après 7 octobre 2023 en Israël.
Avez-vous quelque chose à ajouter ?
La population israélienne est un modèle de résilience. Dans l’action, tous les clivages traditionnels s’effacent et les citoyens font bloc uni face à l’adversaire.
Je souhaite profiter de cette tribune pour remercier chaleureusement toutes les personnes qui nous soutiennent, qui nous manifestent au quotidien leur solidarité, en France ou à l’étranger, notamment nos trois sénateurs ASFE, les Conseillers des Français de l’étranger de tous les pays et les cadres de l’ASFE.