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Lutte contre le déconventionnement des lycées français en Espagne

Au début de l’année 2023, les Français d’Espagne ont appris le prochain déconventionnement des lycées français d’Alicante et de Villanueva de Cañada. L’ASFE s’est entretenue avec Christine Torello, présidente de l’ALI, l’Association Liste Indépendante du lycée Français d’Alicante afin d’en comprendre les enjeux et les conséquences sur la communauté éducative.

Pouvez-vous vous présenter ? 

Depuis 2 ans, je suis la présidente de l’ALI, l’Association Liste Indépendante de parents d’élèves du lycée Français d’Alicante. Mes deux enfants y ont été scolarisés : l’aîné a terminé il y a 2 ans et la cadette est en première. Cela fait 17 ans que je connais le lycée français d’Alicante, son réseau et ses mécanismes.

Quel est le rôle de l’ALI ? 

L’Ali est une association de parents d’élèves. Son but est de défendre les intérêts des familles et d’informer sur le fonctionnement de l’établissement et sa pédagogie. Ainsi, nous aidons les élèves à besoins particuliers, nous luttons contre les augmentations des tarifs de la scolarité ou encore, nous informons les familles de toutes les nouveautés dans le réseau dès lorsque cela a des conséquences sur l’établissement. Nous sommes à l’écoute des parents et faisons remonter leurs préoccupations au sein du conseil d’école, du conseil d’établissement et des opérateurs publics et privés (AEFE/MLF). Notre rôle est celui de vecteur entre les familles et l’établissement. Nos représentants élus sont présents dans toutes ses instances :

Un mot sur l’origine de cette association ? 

L’ALI est née en juin 2020 dans différents établissements à travers le monde. Nous étions en plein confinement lorsque des parents qui n’étaient pas en accord avec l’approche des autres associations se sont rassemblés. Une forte majorité de parents ne comprenait pas la stratégie choisie par l’APE, notamment sur les frais de scolarité. 
À Madrid, l’association des parents d’élèves indépendants existe depuis 12 ans. La particularité est que nous ne recevons aucune subvention publique. Nous sommes totalement indépendants et transpartisans. 

Combien l’Espagne compte-t-elle de lycées français ? 

Le réseau Espagne est l’un des plus importants dans le monde. La Mission laïque française (MLF) compte 11 établissements : Saragosse, Séville, Palma, Murcia, Ténérife, Malaga, Valladolid, Ibiza, Reus, Villanueva et Alicante. Les deux derniers sont encore conventionnés.   
Le pays compte par ailleurs 3 établissements en gestion directe (EGD), à Madrid, Barcelone et Valence. À cela s’ajoute le lycée de Bilbao, un établissement doté d’un comité de gestion. Au total, cela représente entre 20 000 et 25000 élèves scolarisés dans toute l’Espagne.

La MLF a justement pour projet de déconventionner les établissements de Villanueva et Alicante. De quoi s’agit-il ? 

Lorsqu’on parle d’un projet de déconventionnement, cela signifie qu’une demande d’indépendance de la MLF vis-à-vis de l’AEFE a été faite. En dépit de l’accord cadre avec l’AEFE, en cas de déconventionnement, l’accord est rompu et l’AEFE cesse d’être un opérateur éducatif français. 

Cela se traduit, par exemple, par la suppression des subventions AEFE, notamment la prise en charge d’une partie des salaires des enseignants résidents. Mais ici, nous payions déjà 100% des salaires des contrats de résidents. Cela peut se traduire aussi par la fin des contrats de professeurs détachés résidents. 

L’AEFE apporte également d’autres subventions qui ne seront plus octroyées : plus de formations continues d’Etat mais une offre de formation vers les établissements de formations de la MLF (Marrakech ou Séville ou en ligne) qui sont ouverts à tous les systèmes éducatifs. Mais à nos yeux, la MLF n’a pas le même rôle de formation que l’opérateur d’État.

Quelles conséquences sur les établissements ? 

Selon la MLF, il ne devrait pas y avoir de conséquences financières à court terme. Un retour à l’équilibre des établissements est même attendu, en raison de la suppression des remontées à l’AEFE. En revanche, on peut imaginer une diminution des salaires et une baisse des offres d’emplois : 1200 à 1400 euros environ au lieu des 2500 euros environ pour un poste de professeur en contrat de résident vers un contrat local. Ils devront négocier toutes ces données ainsi que leur pension de retraite.

Pour autant, dans les faits, la réalité est différente. Les établissements MLF manquent d’attractivité et n’attirent plus les enseignants. Une enseignante en congé maternité n’a été remplacée que pendant quelques mois, faute de candidats. Outre le manque d’attractivité et les bas salaires, l’inflation et les difficultés pour trouver un logement rendent les recrutements plus difficiles. C’est la qualité de l’encadrement qui en pâti, avec des effectifs en baisse, des recettes qui diminuent et des frais de scolarité qui ne cessent d’augmenter. 

Tous les établissements MLF en Espagne sont déficitaires. La MLF s’octroie un pourcentage de remontées sur le chiffre d’affaires stagnant des établissements : le taux varie de l’un à l’autre mais il est de 12,5% pour Alicante. Cela représente entre 2 et 2,5 millions pour ce lycée chaque année et occasionne des coupes budgétaires sur d’autres secteurs. 
Le roulement de personnel, l’augmentation des tarifs et la situation globale des comptes de la MLF sont très préoccupants. 

D’où vient cette volonté de déconventionnement ? 

Ce n’est pas l’AEFE qui en a fait la demande mais la MLF. L’AEFE toutefois ne s’y oppose pas. Il n’y a aucune communication sur le sujet de sa part, ce qui nous incite à penser qu’elle est plutôt en accord. Il y a une forme d’abandon du réseau en Espagne. Tout est lié au plan Cap 2030 annoncé par le gouvernement mais sans les moyens et les ressources financières pour y parvenir. L’AEFE aussi est touchée par des coupes budgétaires sur son propre budget de fonctionnement, ce qui limite ses marges de manœuvre. 

Comment a été accueilli cette annonce ? Est-elle définitive ?

Avec stupeur ! Nous avons été décontenancés. Rien ne présageait cela et pourtant nous sentions le risque venir, avec la signature de l’accord cadre en 2021, qui prévoyait le soutien d’une partie du réseau dans le monde. Comme je vous le disais, à Alicante, la participation à la rémunération des contrats de résidents est passée de 80% à 100% à la charge de l’établissement. 

Nous sommes en colère car nous apprenons cela dans un rapport d’activité de la MLF, sans aucune tentative de communication à destination de la communauté éducative, professeurs, parents d’élèves etc 

Nous avons l’impression que la décision est déjà prise mais pas encore actée. L’assemblée générale de la MLF en juin pourrait la confirmer et l’appliquer à partir de la rentrée 2024 

Quelles conséquences pour les enfants, les familles et les personnels des établissements visés ? 

Certaines familles ne comprennent pas les conséquences et le microcosme éducatif autour des Établissements français à l’étranger du fait de l’absence de communication sur le sujet. 

Les parents s’engagent sur une durée pour un enseignement pérenne durant la scolarité de leurs enfants, avec des critères de qualité du programme, d’encadrement, d’équivalences au bac etc… Certains feront d’autres choix d’établissement pour donner plus de chances à leurs enfants d’accéder à des universités espagnoles très sélectives. Malgré l’absence de données chiffrées, on peut s’attendre à un mouvement de départ, d’autant que les frais de scolarité à moyen terme seront importants.

Par ailleurs, sur les 27 enseignants résidents, on peut se demander combien vont rester en acceptant les conditions d’un contrat local. Quel impact sur leurs conditions de travail ? Y aura-t-il des suppressions de postes ? Quelle perspective pour les classes d’examen de 3e, 1ère et terminale ?

On constate une augmentation générale des frais de scolarité des établissements Français à l’étranger. Comment les familles font-elles pour affronter ces hausses ?

La majorité font des sacrifices dans leur budget familial quotidien : moins de vacances, moins de loisirs et une baisse globale des dépenses pour privilégier l’éducation des enfants, les activités extrascolaires, les manuels. Certaines familles font appel à la solidarité familiale, notamment les grands-parents. 
Depuis 17 ans que mes enfants sont scolarisés, j’ai constaté des augmentations tous les ans, sauf en 2020-2021. Tout augmente : les droits d’écolage, la cantine, le transport scolaire (équivalent à la scolarité), les voyages. C’est une difficulté énorme et cela ne renforce pas la mixité sociale de nos établissements. 

Nous avons de plus en plus de dossiers de demandes de bourses : 185 pour Alicante cette année dont 8 premières demandes. C’est plus que l’année dernière. On se bat chaque année pour que tous les élèves puissent assurer leur scolarité de manière sereine.  

Comment concilier la nécessité d’un équilibre financier des établissements, le doublement des élèves dans le réseau voulu par le plan Cap 2030 et la garantie de l’excellence de notre modèle éducatif à travers le monde ? 

Il faut se donner les moyens de nos ambitions et principalement les moyens financiers : qui finance cela ?  En grande partie les familles. Or les familles subissent l’inflation et ne pourront plus financer les établissements à moyen terme. Il faut être clair dans la démarche actuelle : privatisation ou non ? Si on veut un modèle éducatif performant et attractif à travers le monde, ce modèle doit être chapeauté en collaboration entre le ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères et le ministère de l’Éducation. Qui peut garantir le modèle éducatif si ce n’est le ministère ?

Avez-vous quelque chose à ajouter ? 

Nous finalisons des actions de mobilisation contre cette décision qui seront communiquées sous peu pour lutter contre le déconventionnement. Je crois fermement à l’excellence du modèle éducatif français : j’y ai mis mes enfants durant toute leur scolarité en dépit des augmentations mais il faut mettre des moyens pour développer et non privatiser ces établissements. Le rayonnement culturel de la France est en jeu. Il ne faudrait pas qu’on finisse par enseigner le français plutôt que le modèle éducatif français.   

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