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Guerre en Ukraine : un an après

Guerre en ukraine

Guerre en ukraine

Le 24 février 2022, Vladimir Poutine annonçait le début d’une opération militaire spéciale dans le Donbass, en Ukraine. Un an après le choc de l’invasion russe sur le territoire ukrainien, le conflit armé ne semble pas s’essouffler et a bouleversé l’équilibre géopolitique régional et mondial.

A cette occasion, l’équipe de l’ASFE s’est entretenue avec David Franck, Conseiller des Français de l’étranger en Ukraine et Franck Ferrari, Conseiller des Français de l’étranger en Russie. Regards croisés sur cette nouvelle guerre hybride et ses conséquences.

Cela fait un an que le conflit armé entre la Russie et l’Ukraine s’est déclenché : où en est-on sur le terrain ? Comment vivent les populations ?

David Franck – Cela fait un an que les Russes ont décidé de passer à la phase 2 de leur guerre d’empire avec l’Ukraine : en 2014, ils ont annexé le Donbass et la Crimée. Depuis le 24 février 2022, ils ont également pris un peu plus de terrain dans les régions de Kherson et de Zaporijia. Depuis octobre, les Russes ont reculé mais ils occupent encore environ 18% du territoire ukrainien. Les populations vivent sous les contraintes des bombardements, des coupures d’électricité et donc de chauffage également. Ce n’est évidemment pas la même chose si vous vivez à Lviv, à Kyiv ou à Dnipro. Le conflit est plus ou moins larvé sur le terrain avec des gains minimes depuis des mois, dans les deux camps.

Quelles conséquences le conflit russo-ukrainien a t’il eues sur la Russie ? Quelle est la situation en Russie un an après le début du confit ?

Franck Ferrari – Un isolement par rapport à l’Europe occidentale et une obligation de se rapprocher d’autre pays. Le curseur a changé. Un an après les Russes ont appris à changer leurs habitudes.

Dès le début, voyant la situation diplomatique se détériorer peu à peu, vous avez fait appel à la solidarité des Français hors de France. Qu’avez-vous mis en place ?

David Franck – Juste avant le 24 février 2022, avec mon homologue CFDE de République Tchèque, Vassili Le Moigne, un extraordinaire réseau a été monté très vite, pour montrer la solidarité entre Français, habitant dans tous les pays proches de l’Ukraine et dans toute l’Europe. En effet, il m’a proposé de monter un réseau de Français pour aider, héberger les Français fuyant l’Ukraine, par la route et j’ai pu en informer tous les chefs d’ilots d’Ukraine, lors de notre dernière réunion de sécurité le samedi 19 février 2022, au cas où. Nous avons bien fait et énormément de Français ont bénéficié de cette aide (j’en fais également partie). 

Comment a réagi la population française et binationale en Russie ? Quel est leur sentiment ?

Franck Ferrari – Les Français et binationaux qui sont restées ont, comme les Russes, appris depuis des années à s’adapter, une certaine résilience se dégage de la communauté.

Il a fallu vous appuyer sur d’autres pays européens et faire appel à la solidarité des pays limitrophes et des ressortissants français : pouvez-vous nous en dire davantage sur la coordination de l’aide ?

David Franck – L’aide des Français, le réseau de Vassili, a été visible en République Tchèque, en Pologne, en Roumanie, en Hongrie, et même en Allemagne. Je dois même en oublier mais l’élan était extraordinaire. C’est la preuve que les Français sont solidaires les uns avec les autres et sont prêts à aider, et les CFDE sont des liens essentiels pour relier les Français entre eux.

Combien de Français ont quitté le pays l’année dernière ? Beaucoup sont-ils revenus ?

David Franck – Avant le 24 février 2022, nous étions 1000 inscrits, le 24, nous sommes montés à 1700 et aujourd’hui nous serions 500 revenus, ce sont les chiffres officiels. Ce dernier nombre me parait un peu au-dessus de la réalité. D’après moi, nous serions une centaine. 

Franck Ferrari – La liste consulaire était de 5500 inscrits, et actuellement environ 4000, sans que l’on puisse vérifier la véracité de ce chiffre. Les expatriés des entreprises internationales sont majoritairement tous partis .. ceux qui sont restés sont globalement des binationaux ou couples binationaux. Pour l’instant, ceux qui reviennent ce sont ceux qui sont partis très ou trop rapidement et malheureusement en France, rien n’a été prévu pour leur retour.

Cet élan de solidarité européen et mondial a permis à des Français et des binationaux de quitter le pays mais aussi à des Ukrainiens de se mettre à l’abri : comment cela s’organise t’il ?

David Franck – La situation s’est extraordinairement bien organisée au niveau européen, voire mondiale et nous pouvons en être fier, pour tous les Ukrainiens. En revanche, pour les Français vivant en Ukraine, c’est le gros manque : si vous avez des biens en France, alors vous pouvez rentrer chez vous. Mais si vous avez une petite retraite, pas de famille pouvant vous loger, et pas de résidence en France, RIEN n’est prévu pour vous. Les Français de l’Etranger sont les oubliés de ce conflit : que vous soyez en Ukraine, mais aussi en Biélorussie ou en Russie, vous n’avez le droit à rien, aucune aide, aucun logement. J’irai même plus loin : suite à la pandémie, les Français de l’étranger vivant en Chine voulant fuir la Chine après 3 ans de fermeture n’ont nul part où aller, à la suite du tremblement de terre de Turquie, les Français de l’étranger ayant perdu leur logement n’ont nul part où se réfugier en France, à la suite des menaces des Maliens ou des Burkinabais, les Français de l’étranger n’ont nul part où se réfugier en France… Il faut que la France se dote d’une politique de « relogement » d’urgence pour tous ces Français. Le nombre de Français devant rentrer ne va cesser d’augmenter malheureusement, avec ces changements climatiques et ces nouvelles tensions géopolitiques. 

Comment réagit la population à tous ces changements ? Quelle est sa perception de l’année écoulée ?

Franck Ferrari – La population russe ou même ceux qui vivent la depuis de nombreuses années sont habitués à vivre en période de crises. Adaptabilité et résilience sont vraiment ancrées dans la culture russe…

Comment peut-on aider l’Ukraine actuellement ?

David Franck – Sur le plan humanitaire, nous pouvons fournir des générateurs électriques et des transformateurs pour remplacer ceux détruits par les bombardements. La France en a déjà fait parvenir un grand nombre. Il faut également fournir le diesel pour les faire fonctionner.

Sur le plan militaire, il n’y a pas un jour sans demande d’armement pour protéger le ciel des bombardements faits sur les civils.

Il faut également que les conseils aux voyageurs soient allégés, au moins sur certaines zones de l’Ukraine pour permettre aux entreprises d’envoyer des expatriés travailler à la reconstruction, peut-être en divisant l’Ukraine avec des zones plus ou moins sensibles.

La situation semble très instable notamment en Biélorussie, car la semaine dernière, la France a appelé ses ressortissants à quitter le pays. Quelle issue imaginez-vous au conflit ?

David Franck – La semaine dernière, la France a réitéré son conseil aux Français de Biélorussie, sachant que la Pologne allait fermer un des deux postes frontières avec ce pays. La Biélorussie joue un jeu d’équilibriste pour ne pas froisser le président russe, sans pour autant rentrer de plein pied dans le conflit. Le président Loukachenko aurait du mal à contrôler son armée avec les opposants à son régime, s’il intervenait. Au niveau géopolitique, cela va être compliqué pour la Biélorussie de conserver son régime actuel en cas de défaite russe. Je ne vais pas vous donner de prévisions pour le règlement de ce conflit, mais ce que je souhaite, c’est que ce conflit se finisse. Peut-être les deux pays vont gagner, ou les deux vont perdre. Quoiqu’il en soit, les deux ont payé un prix élevé pour ne plus être étroitement liés. Et la guerre est toujours une mauvaise solution, donc, il faut qu’elle s’arrete.

Franck Ferrari – Alors en ce qui concerne le message en Biélorussie, c’est une redite du message de l’an dernier, rien n’a changé fondamentalement. L’issue du conflit est la seule question qui est vraiment intéressante et pour l’instant aucune option ne semble se dégager.

Que retenez-vous de cette année passée ?

David Franck – Cette année a été catastrophique pour l’Ukraine mais de cette catastrophe va naître un nouveau pays, un nouveau monde : l’Ukraine va enfin réussir à se débarrasser de sa proximité avec les Russes et prendre son envol comme pays libre, démocratique et souverain. Tout changement de régime se fait dans la douleur, et le prix payé est extrêmement élevé.

Franck Ferrari – Une année longue, agitée avec une multitude d’émotions qui s’entrechoquent. Un choc des civilisations que l’on avait pas connu depuis des générations.

Avez-vous quelque chose à rajouter ?

David Franck – Ce sont des centaines de milliers de vies qui sont parties, et pour quelles raisons ? Cette guerre est anachronique et doit se terminer. Le monde ne sera jamais plus le même, pour ces deux populations ukrainienne et russe, mais également pour beaucoup d’autres.

L’Ukraine doit pouvoir vivre libre, et suivre le chemin qu’elle choisira.

Franck Ferrari – Non pas vraiment. Juste un souhait pour un futur apaisé.

Franck Ferrari, Conseiller des Français de l’étranger en Russie.
David Franck, Conseiller des Français de l’étranger en Ukraine.
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