Belgin Özdilmen, Conseillère des Français pour la Turquie, fait un point de situation dix jours après les tremblements de terre qui ont touché le Sud de la Turquie et le Nord-Ouest de la Syrie. Le bilan à ce jour est de 36 000 morts.
Quelle est la situation en Turquie ? Dans quel état d’esprit est la population ?
Deux séismes ont secoué, ce lundi 6 février, le Sud-Est de la Turquie et le Nord-Ouest de la Syrie. Le premier était d’une amplitude de 7.8 et le second qui a eu lieu quelques heures après, d’une amplitude de 7.5. De telles ampleurs sont clairement impressionnantes ! Nous devons remonter à 1114 pour trouver un séisme aussi violent sur cette faille est-anatolienne.
Aussi, en Turquie, la zone touchée s’étend sur plus de 110.000 km2 comptant une population de plus de 13 millions d’habitants. Cela a entrainé l’effondrement d’environ 8.000 immeubles et un bilan humain de plus de 36.000 morts et environ 108.000 blessés à l’heure où je vous parle. Et, l’on sait que ce bilan humain va être vraiment bien plus catastrophique une fois que tout sera déblayé. Face à un tel tableau, la situation sur place ne peut être que dramatique ! En Turquie, nous parlons du pire désastre du siècle.
S’agissant de l’état d’esprit de la population turque, dans un premier temps nous avons été dévastés par la nouvelle de ce terrible drame. Et nous sommes toujours sous le choc. Cela semble tellement irréel ! D’autant que le froid glacial qui sévit dans cette région – il peut faire jusqu’à -10 degré la nuit – a compliqué la tâche des secours et provoqué le décès par hypothermie des personnes coincées sous les décombres. Face au bilan humain très lourd, le peuple est toujours sous le choc. Tout le monde suit de très près ce qui se passe dans la zone dévastée dans l’espoir qu’il y ait des survivants.
Les secouristes sont lancés dans un contre la montre pour retrouver des survivants et ce, bien que la fenêtre des 72 premières heures pour retrouver des survivants soit fermée depuis bien longtemps. Le peuple endeuillé est également très en colère à l’encontre des promoteurs. Il y a une réalité géographique que l’on ne peut ignorer : la Turquie est un pays de tremblement de terre. Deux failles traversent le pays, la faille est-anatolienne et la faille nord anatolienne. Il faut donc que les constructions soient antisismiques. Or, on parle de corruption ! Même s’il existe une telle réglementation en Turquie, il semblerait que les promoteurs en aient fait fi, ce qui a causé ce bilan inimaginable.
Quatre français ont perdu la vie en Turquie. Ce bilan a-t-il évolué ? Comment la communauté française a-t-elle été prise en charge ?
Nous savons qu’environ 300 Français, pour la grande majorité des binationaux, vivaient dans la zone touchée par les séismes. À l’heure actuelle, concernant le bilan humain des Français, je ne peux vous donner plus d’informations que celles déjà communiquées par le ministère de l’Europe et des Affaires Européennes.
Pour ce qui est de la prise en charge, sachez que dès le 6 février une cellule de crise a été mise en place par l’Ambassade de France à Ankara afin de s’assurer que les Français vivant dans la zone sinistrée sont bien sains et saufs et afin de leur apporter tout l’aide et le soutien nécessaire. Un rapatriement a également été organisé depuis cette région vers la France. Et, pour ceux qui sont restés en Turquie, les services consulaires d’Ankara sont toujours en communication avec eux.
D’ailleurs, au-delà de la population française sur place, les autorités consulaires et diplomatiques françaises jouent également un rôle important dans la coordination des aides envoyées par l’État français. En effet, je tiens ici à rappeler que, suite à la demande de soutien international exprimée par les autorités turques dès le 6 février, la France s’est immédiatement mobilisée pour apporter son aide et a mis en œuvre un dispositif d’aide gouvernemental.
Ainsi, elle a envoyé deux détachements de recherche et secours composés de sapeurs-sauveteurs et sapeurs-pompiers, soit environ 150 personnes et une dizaine de chiens qui ont participé aux opérations de sauvetage. Elle a également envoyé un hôpital de campagne de grande capacité ayant une surface de 1000m2 et pouvant accueillir jusqu’à 100 patients. Celle-ci a été déployée à Adiyaman qui est une des provinces touchées par le séisme. Enfin, pour revenir aux services consulaires, ceux-ci proposent également un soutien psychologique à nos compatriotes.
Quelle est la situation de nos compatriotes restés sur place ?
Je ne sais pas s’il y a beaucoup de Français qui sont restés sur place. Nous n’avons pas l’information mais il est fort probable que beaucoup aient rejoint des proches dans d’autres provinces de la Turquie ou soient partis en France. Pour ma part, je suis en contact avec certaines familles qui ont rejoint des proches soit à Ankara soit à Istanbul.
Comme toute la population de cette région, ces Français sont très touchés matériellement par ce séisme. Personne n’ose retourner chez soi dans la mesure où les immeubles sont soit détruits soit fortement fissurés. Ces séismes ont ravagé 10 provinces de la Turquie ! Et, au-delà des dégâts matériels qui sont immenses, il s’agit d’un véritable traumatisme difficilement surmontable.
Que pensez-vous de la gestion de cette catastrophe ?
La gestion de cette catastrophe a fait l’objet de nombreuses critiques. Nous sommes bien d’accord que la puissance des séismes était impressionnante. Toutefois, ces séismes n’auraient pas dû être aussi meurtriers. Comme je l’ai rappelé précédemment, la Turquie est un pays de tremblement de terre ! Les secours devraient être immédiatement sur place pour intervenir. Or, ceux-ci ont tardé.
À ce sujet, une citation a abondé les réseaux sociaux : « Quand il y avait une voix, il n’y avait pas les équipes de secours. Quand il y avait les équipes de secours, il n’y avait pas les équipements [de secours]. Quand il y avait les équipements [de secours], il n’y avait plus de voix ». La catastrophe ayant impacté 10 provinces, certaines d’entre elles ont même été oubliées le premier, voire le deuxième jour.
Forte heureusement, le monde entier s’est mobilisé pour apporter leur aide aux sinistrés. L’élan de solidarité internationale ne s’est pas fait attendre dans la mesure où dans les heures suivant la catastrophe, de nombreux pays offraient déjà leur aide à la Turquie. Tout comme la France, beaucoup de pays ont dépêché des équipes de secouristes afin de participer aux opérations de sauvetage. De même, les bénévoles et les ONG se sont mobilisés aussi bien en Turquie que sur le reste de la planète pour venir au secours des personnes coincées sous les immeubles effondrés.
Ces aides prennent également la forme de dons financiers, d’envoi de biens de première nécessité, de matériel médical, de médicaments, de tentes, réchauds etc. Des appels à la générosité ont été relayés un peu partout. Ces appels ont été lancés aussi bien en Turquie que dans d’autres pays comme la Grèce, l’Allemagne, la Chine, les Etats-Unis, la France etc. Nous sommes témoin d’un élan de solidarité sans précédent.
Néanmoins, au-delà des secours qui ont tardé et manqué, des problèmes de coordination pour réceptionner ces aides sur place existent. Les personnes restées sur place font également face à un sérieux problème d’hygiène ; le manque d’installations hygiéniques commence à mettre en danger leur santé. À cela s’ajoute le problème d’accès à l’eau potable. De telles conditions font peser un risque épidémique.
La ville d’Antakya a été en grande partie détruite. Connaissons nous l’ampleur du patrimoine architectural détruit ?
En plus d’un terrifiant bilan provisoire humain, les séismes du 6 février ont en effet fait des dégâts considérables sur le patrimoine. Ces villes touchées par le séisme, comme Alep en Syrie, Antakya ou Sanliurfa en Turquie, sont parmi les villes les plus vieilles du monde, abritant des joyaux architecturaux. La Turquie et la Syrie doivent déplorer la destruction de plusieurs dizaines de leurs trésors archéologiques.
Toutefois, il est encore très tôt pour que je puisse répondre avec exactitude à cette question. Ce que nous savons à l’heure actuelle, c’est que le château de Gaziantep, symbole de la ville du même nom, a été partiellement détruit. Des photos montrant la destruction partielle du château ont tourné en boucle sur les chaines de télévision turques ou sur les réseaux sociaux. De même, dans le sud de la Turquie, la cathédrale de l’annonciation de la ville d’Iskenderun est presque complétement effondrée. À Sanliurfa, Göbekli Tepe qui est le plus vieux sanctuaire connu au monde, pourrait avoir été endommagé selon l’UNESCO. De même, de nombreuses mosquées ayant traversées des siècles sont soit en partie soit complètement effondrées à Malatya, à Adiyaman ou encore à Gaziantep. Mais c’est surtout la situation d’Antakya qui est la plus inquiétante : la ville est en ruine !
Du coté syrien, le bilan est tout aussi inquiétant. La citadelle d’Alep, a été touchée. La Direction générale des antiquités et des musées à Damas a signalé que « Des parties du moulin ottoman à l’intérieur de la citadelle d’Alep sont tombées, et des parties des murs défensifs du Nord-Est de la citadelle se sont fissurées et fendues ». De même, certains murs historiques de la vieille ville d’Alep seraient fissurés voire totalement effondrés. Enfin, d’autres monuments historiques se trouvant dans des villes comme Hama ou Banyas auraient également été endommagés.
À qui peut-on s’adresser pour apporter de l’aide aux populations locales ?
Alors que le bilan provisoire fait état de plus de 36 000 morts et que les opérations de recherche continuent, l’aide se concentre désormais sur les centaines de milliers de rescapés qui se retrouvent sans logement et qui doivent faire face à la faim et à des conditions climatiques défavorables. Nous constatons un déploiement de l’aide humanitaire conséquent. En effet, comme je le disais précédemment, des appels à la générosité ont été lancés un peu partout dans le monde. Des collectes d’aides matérielles sont organisées presque dans chaque quartier. De nombreuses campagnes d’aide sont mises en œuvre un peu partout, faisant appel à des dons matériels ou financiers. Les initiatives se sont multipliées pour soutenir financièrement les ONG et ainsi venir en aide aux rescapés… Le déploiement des générosités est impressionnant !
Moi-même, j’ai été contactée par de nombreuses personnes ou entreprises souhaitant faire un don et je tiens ici à leur exprimer ma sincère gratitude. La Turquie continue de recueillir les dons pour les sinistrés de ce terrible tremblement de terre. Ainsi, il est possible de faire un don à l’AFAD qui est la direction de gestion des situations de catastrophe et d’urgence reliée au Ministère de l’intérieur de la Turquie ou encore à AHBAP qui est une plateforme de bénévoles et qui joue un rôle primordial dans la gestion de cette catastrophe. Et, en France, les donateurs peuvent se tourner vers la Fondation de France ou alliancesurgences.org, qui regroupe des acteurs humanitaires français.