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Le système de santé espagnol

stéthoscope

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Depuis 2 ans, la crise du Covid19 a éprouvé l’ensemble des systèmes de santé mondiaux et mis en lumière les failles et les forces de chacun. Le système de santé espagnol est-il vraiment le meilleur au monde ? La décentralisation est-elle un avantage ou un inconvénient pour le patient ? Réponse de Claire Bastien, médecin, professeur d’université en santé publique et éthique à la Universidad Europea de Madrid. Elle est aussi membre de l’équipe ASFE Espagne.

Un système universel

Les principes de base du système de santé espagnol sont l’universalité de la santé, le financement public, l’équité de l’accès aux soins et la décentralisation.

Couverture universelle

Le Système National de Santé – SNS espagnol assure une couverture universelle c’est-à-dire que tout le monde, y compris les migrants irréguliers ont accès aux soins sans payer de leur poche. Selon un récent rapport de l’OMS/Europe, comparativement avec d’autres habitants de pays européens, le coût des soins de santé en Espagne n’est pas un frein à la prise en charge. 

Gratuité de certaines prestations

Les prestations du secteur public sont gratuites et il n’y a pas de reste à charge pour les patients en ce qui concerne : les consultations, les tests de diagnostic ou les soins hospitaliers. Il existe un co-paiement pour les médicaments prescrits par un médecin du secteur public qui est en cours de révision…Quant aux médicaments prescrits par des médecins du secteur privé, ils ne sont pas remboursés du tout.

Gamme de soins étendue mais insuffisante

L’ensemble des prestations du SNS couvre une gamme relativement large de services de santé. Néanmoins la couverture de soins est totalement défaillante pour les soins dentaires et oculaires chez l’adulte et les maladies mentales sont mal traitées. La psychiatrie publique prend, certes, en charge les maladies graves comme les psychoses mais le traitement des syndromes anxieux ou dépressifs est très insuffisant. Depuis le début de la pandémie ces maladies ont vu leur fréquence augmenter de façon très importante notamment chez l’adolescent. Mais les listes d’attente sont telles que la seule possibilité est d’avoir recours au secteur privé. Toutefois qui peut payer 100 € hebdomadaire pour un suivi avec un psychiatre et 50 € par semaine la consultation avec un psychologue ? 

Accès déterminé par le lieu de résidence

La couverture par le système national de santé est déterminée par le lieu de résidence. Pour nous français résidant en Espagne, il est indispensable d’obtenir un certificat (padrón) délivré par la Mairie du lieu de résidence. Ce certificat (empadronamiento) permet de s’inscrire dans un centre de santé et par conséquent de bénéficier comme les Espagnols de l’accès gratuit aux soins. Pour les retraités français vivant en Espagne mais ayant fait toute leur carrière en France, la possession d’un ES1 atteste l’affiliation à la sécurité sociale française.

Un système performant

Le modèle sanitaire espagnol est évalué comme un bon système de santé mais son classement varie selon les critères retenus. 

Qualité des soins

Selon le classement établi par le Legatum Prosperity Index, l’Espagne est en vingt et unième place alors que la France est classée 16e.

Classement mondial des systèmes de soins selon le Legatum Institute
(Les pays classés de la première à la trentième place sont identifiés par la couleur verte dans la carte du monde ci-dessus)

Le magazine CEOWorld a passé au scanner les systèmes de santé de 89 pays pour leur donner une note sur 100 en fonction de la qualité des soins octroyés, c’est à dire principalement les compétences des professionnels de santé (médecins, personnel infirmier et autres agents de santé), la mortalité infantile, la couverture vaccinale, le coût des prestations pour les patients et la disponibilité des médicaments qui participent grandement à la notation. D’autres facteurs comme la prévention du tabagisme et de l’obésité ont également pesé dans la balance. Cette étude place la Corée du Sud en première position (note de 78,72/100). La France occupe une honnête septième place (note de 65,38/100) et l’Espagne la suit à la huitième place (note de 64,66/100), après le Danemark et l’Autriche.

Les lacunes du système de santé espagnol

Dépenses de santé

Les dépenses de santé de l’Espagne représentent 6,5% de son PIB alors qu’en France, le total des dépenses de santé représente 11 % de son PIB, soit la part la plus élevée de toute l’Union européenne. Si ce chiffre est plutôt encourageant pour les finances publiques, il cache une autre réalité. Comme l’a souligné l’OMS dans son dernier classement officiel de l’année 2000, ces dépenses de santé faible sont expliquées par des salaires peu élevés pour les professionnels de santé.

Résultat de ces bas salaires et de la précarité (beaucoup de médecins restent intérimaires toute leur vie professionnelle) nombre de professionnels de santé émigrent vers divers pays européens et vers le Royaume-Uni à la recherche d’une qualité de vie meilleure. C’est très probablement la raison pour laquelle le nombre moyen d’infirmières en Espagne est d’à peine 5,8 pour 1.000 habitants. Ce qui est très en dessous des pays de l’Union Européenne (8 pour 1000 habitants). 

Délai de prise en charge

Les listes d’attente sont un bon critère pour mesurer l’efficience d’un système de santé. En Espagne c’est un réel problème et cela ne date pas d’hier. Le nombre de patients en liste d’attente pour une intervention chirurgicale varie selon les communautés autonomes. Il est ainsi de 7,25 pour 1000 habitants au Pays Basque. Et il atteint 24,06 pour 1000 habitants en Extremadura (ministère de la Santé – 2020) 

Le délai pour se faire opérer varie de 40 à 266 jours avec une moyenne de 155 jours.

Temps moyen d’attente pour une intervention ou une consultation de spécialiste – Source : https://www.epdata.es/datos/listas-espera-sanidad-publica/24/espana/106

Faiblesse de la médecine générale

La médecine générale est sinistrée et pâtit du manque de professionnels de santé, les consultations ont été inexistantes pendant l’état d’urgence et aujourd’hui encore après la sixième vague de COVID la plupart des consultations de médecine générale sont téléphoniques. La qualité des soins de médecine générale est médiocre. Le pivot de la médecine générale est le « Centro de Salud ». Les consultations sont espacées de 6 minutes et le médecin n’a évidemment pas le temps d’examiner le patient. Comment faire une bonne médecine dans ces conditions ? 

La décentralisation un avantage ou un inconvénient pour l’utilisateur du système de santé espagnol ?

Le système de santé espagnol est un système décentralisé. Un décret du 1 janvier 2002 a délégué les compétences aux communautés autonomes. Les 17 gouvernements avec leurs 17 Conseillers de Santé sont donc responsables de leur propre budget de santé. Chaque région peut donc répartir ses dépenses comme elle le souhaite, avec parfois des choix incompréhensibles. Dans beaucoup de communautés, la construction d’infrastructures telles que des hôpitaux a été préférée au recrutement de personnels qui manquent cruellement aujourd’hui. Résultat, ces structures ne peuvent fonctionner correctement faute de soignants.

Une harmonisation nécessaire mais difficile

La volonté est d’aller vers plus de décentralisation mais cela dépend beaucoup de chaque communauté autonome et de l’étiquette politique de son président. Aujourd’hui, le principal objectif est d’assurer une meilleure cohésion du système sanitaire ; c’est-à-dire d’assurer une harmonisation complète de l’ensemble des services de base, des politiques et stratégies de santé, de la politique des ressources humaines, pharmaceutique et de recherche & développement et de l’innovation. 

Le bon fonctionnement du conseil inter-territorial, l’organisme de coordination entre l’Etat et les 17 communautés autonomes est conditionné par l’adoption d’accords exécutoires mais l’intérêt de chaque membre et la défense à outrance d’intérêts régionaux sont des écueils importants.

Certaines communautés autonomes favorisent en effet la privatisation de la médecine. La communauté autonome de Madrid a voulu en 2012 privatiser la gestion de 6 hôpitaux publics madrilènes mais cela a été refusé par les autorités judiciaires.

Cette volonté de privatiser les soins perdure en sous-main en particulier pour la médecine générale. Lors de la pandémie COVID-19 j’étais bénévole pour faire le suivi de patients COVID et leurs familles. La tâche était tellement énorme que la présidente de la région a sous-traité à un organisme extérieur mais en dépit d’un budget pharaonique 85% du travail restait à faire. 

La décentralisation : frein à la prise en charge médicale

La décentralisation est telle qu’il faut demander une autorisation pour se faire soigner dans une autre communauté autonome. Parfois en parcourant seulement 2 kilomètres, il n’est plus possible de se faire vacciner contre le COVID 19. Cette décentralisation ne facilite pas une bonne prise en charge médicale et multiplie les formalités administratives tant du côté de la gestion du système sanitaire lui-même que du côté de l’utilisateur.

En pratique

L’idéal est de pouvoir bénéficier du meilleur des deux secteurs de santé le public et le privé assuré par des assurances de santé privées.

Le système public est souvent suffisant pour la médecine générale courante, les affections chroniques. C’est lui qui délivre les arrêts de travail. Le pharmacien est devenu un agent de santé qui se substitue volontiers à l’infirmière du centre de santé pour la prise de la tension artérielle et d’autres gestes comme le dosage du cholestérol. Mais pas la vaccination contre le COVID-19 comme en France.

En cas de pathologie grave tel le cancer la prise en charge par le réseau d’oncologues du public est excellente et surtout le traitement est gratuit.

Beaucoup d’interventions chirurgicales se réalisent dans les hôpitaux privés. En effet, les chirurgiens réputés exercent dans les deux secteurs; l’hôtellerie est meilleure que dans le public et le délai pour une intervention chirurgicale est moindre que dans le public. La prise en charge est assurée par l’assurance après accord préalable.

Perspectives pour 2022

Pour 2022, le débat sur le système de santé espagnol est centré sur plusieurs thèmes prioritaires:

Claire Bastien

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