Après une forte indécision et huit scrutins, le parlement italien a finalement décidé de réélire à une très large majorité le président sortant : Sergio Mattarella. Alors qu’initialement, ce dernier avait pourtant clairement fait savoir qu’il ne souhaitait pas effectuer un second mandat. L’équipe de l’ASFE a eu l’opportunité d’échanger avec Annie Rea, Conseillère des Français de l’Italie du nord, sur ce sujet.
Le statut présidentiel italien semble être bien différent de celui de la France. A commencer par son élection qui se fait au suffrage universel indirect par un collège électoral qui réunit l’ensemble des membres de la Chambre des députés, du Sénat de la République et des délégués des régions. Pouvez-vous nous détailler le rôle et les missions principales du président de l’Italie ?
La plupart des Constitutions européennes sont de type « parlementaire », à opposer au type « présidentiel » des USA. Les pouvoirs du Président sont donc formellement quasi identiques en France et en Italie : nommer le Premier ministre, promulguer les lois, dissoudre l’Assemblée Nationale, ratifier les traités, déclarer la guerre ; il est le chef des forces armées, préside le Conseil supérieur de la magistrature, nomme une partie du Conseil Constitutionnel, a le droit de grâce. Toutefois il n’y a pas d’article 16 (pleins pouvoirs) en Italie.
La différence essentielle vient du mode d’élection : suffrage populaire en France, parlementaire en Italie. Le président français est principalement un « acteur » politique alors que le président italien est un « garant » de l’unité nationale, de la démocratie.
Le système parlementaire laisse une grande latitude au président d’interpréter son rôle : a minima comme en Allemagne ou de façon plus incisive. Depuis Mani Pulite (1992), les Présidents italiens sont devenus de plus en plus actifs dans la vie politique, n’hésitant pas à renvoyer des lois devant le Parlement, ou à « suggérer » un Premier ministre, Mario Monti en 2011 ou Mario Draghi en 2020. La Constitution Italienne (1947) a été écrite, en réaction au fascisme, pour éviter le pouvoir d’un seul homme. Après 50 ans de présidents « potiche » son rôle s’est peu à peu accru, à la satisfaction du peuple italien puisque son indice de popularité fait rêver ses homologues européens.
Huit scrutins, six jours d’impasse, un gouvernement au bord de la chute. Comment expliquez-vous ce manque de consensus dans cette élection ?
Il n’y a pas aujourd’hui de figure de consensus, au-dessus des partis, comme a pu l’être, par exemple, Ciampi, père de l’entrée de l’Italie dans l’euro. Mais y en aurait-il une en France ?
Le choix d’une figure présidentielle aurait dû émaner d’un consensus entre les partis politiques, or ceux-ci se sont enlisés. La candidature initiale de Silvio Berlusconi en tant que représentant de la coalition de droite a retardé le processus.
Mario Draghi aurait volontiers déménagé pour s’installer au Quirinal, mais nombreux sont ceux qui préféraient le voir rester à la présidence du Conseil, pour garantir la majorité du gouvernement, les équilibres atteints grâce à sa capacité à unir, et la crédibilité du pays à Bruxelles.
Qui sont les grands gagnants et perdants de cette élection ?
De toute évidence, les grands perdants sont les partis de la droite qui se déchirent, ainsi que le mouvement des 5 Etoiles fortement déstabilisé. Le grand gagnant est le gouvernement de Draghi qui est en ressort plus stable dans la perspective de résister encore jusqu’aux prochaines élections politiques du printemps de l’année prochaine.
Quels seront les principaux défis à venir pour le nouveau président ?
Les défis sont ceux du pays, de son Premier ministre Mario Draghi, accompagnés par le président de la République. Donc un triple défi : sanitaire, économique, social, qui implique avant tout de sortir le pays de la crise sanitaire.
Accompagner le président du Conseil et son gouvernement dans la course à la relance économique, déjà bien engagée, l’Italie affiche une prévision de croissance en 2021 du PIB de +6,5%. Tout l’enjeu est de mener à bien le PNRR et de maintenir la confiance de Bruxelles et des marchés financiers.
Mener à bien les diverses réformes structurelles du pays, notamment au niveau fiscal et administratif.
Comment la presse italienne mais également l’opinion publique ont-elles réagi à l’annonce du résultat ?
L’opinion publique et la presse italienne ont accueilli avec soulagement et enthousiasme cette issue inespérée. Sergio Mattarella réélu président de l’Italie était de loin la meilleure équation pour garantir la stabilité du pays et son ancrage dans l’Union Européenne, avec à ses côtés une figure incisive et unanime telle que Mario Draghi à la tête du gouvernement.
Avez-vous quelque chose à ajouter ?
L’Italie est structurellement excédentaire dans le commerce extérieur, comme l’Allemagne. La France est structurellement déficitaire, en aggravation. J’aimerais que le déficit extérieur de la France soit un sujet de campagne électorale.