L’équipe de l’ASFE a eu l’opportunité de s’entretenir avec Arthur Silve – Conseiller des Français de l’étranger pour la circonscription du Québec – et Alaric Bourgoin – Représentant de l’ASFE pour la circonscription de Montréal – afin de suivre l’évolution de la crise sanitaire au Canada.
Quelle est la situation actuelle de la pandémie et de la campagne de vaccination au Canada ?
Arthur : « Comme ailleurs dans le monde, on est en plein dans la vague omicron. Avec 800 nouveaux cas par jour par million d’habitants, ce n’est toutefois pas le tsunami français. Depuis quelques jours, les taux décroissent, ce qui est plutôt encourageant. La vaccination au Canada a deux caractéristiques, elle démarre tard, mais elle est ensuite très efficace.«
Alaric : « Au Canada la pandémie est très active avec un nombre inédit de cas au Québec ces jours-ci. Les capacités en soins intensifs sont proches de la saturation, car elles demeurent très faibles. Il semble que le pic de la 5e vague Omicron ne soit pas encore passé et que les autorités anticipent une dégradation de la situation dans les jours voire les semaines à venir, malgré les mesures drastiques de confinement. S’agissant de la vaccination, la population est massivement vaccinée (à ce jour, 78,2% de la population canadienne est entièrement vaccinée). Un chiffre que l’on entend beaucoup dans les médias, et qui vient alimenter les campagnes de vaccination, est que les non-vaccinés représentent plus de 50% des hospitalisations alors qu’ils sont aujourd’hui très minoritaires dans la province.«
Même si les variants Delta et Omicron n’épargnent que très peu de régions dans le monde, certains pays comme les Pays-Bas et la Norvège ont décidé de relâcher la pression et d’alléger les contraintes sanitaires. Qu’en est-il du Canada ?
Arthur : « Ce n’est pour l’instant pas le choix du Canada. D’autres régions du monde sont passées d’une phase pandémique – où l’on cherche à contrôler la contagion – à une phase endémique, où l’on accepte de vivre avec le virus. Pour l’instant, le système de santé est encore trop sous pression pour que le Canada puisse envisager de passer à la phase endémique. Les hôpitaux sont débordés, les procédures sont reportées, y compris des procédures graves et urgentes. Le Québec est même pour l’instant en tête du taux de décès dans le monde industrialisé. Ce n’est pas le moment de relâcher la pression.«
Alaric : « C’est tout le contraire au Québec où le gouvernement provincial mène une politique de contrôle des populations extrêmement stricte, je crois même la plus stricte en Amérique du Nord, avec jusqu’à très récemment un couvre-feu, interdiction de rassemblement, télétravail obligatoire, passe vaccinal dans les lieux publics, etc. Cette politique restrictive menée par la CAQ (Coalition Avenir Québec) suscite pour la première fois depuis quelques jours le mécontentement discret de la population, mécontentement qui a conduit à la démission du directeur national de la santé publique la semaine dernière et la suppression du couvre-feu. La CAQ reste toutefois extrêmement populaire et la gestion de la crise par le premier ministre, dont les résultats factuels pourraient être discutés, remporte un très fort assentiment de la population.«
La province du Québec compte 10% de personnes qui n’ont reçu à ce jour aucune dose de vaccin. Comment l’expliquez-vous ?
Arthur : « 93% des 12 ans et plus ont reçu une dose. 60% des 5-11 ans ont reçu une dose. Alors, oui, il y a des réfractaires au vaccin, comme partout. Pourquoi ? Peut-être serait-ce le contraire qui serait surprenant, n’est-ce pas ? qu’il n’y ait aucune réticence ? Ceci dit, compte tenu de la contagiosité du variant omicron, on peut se poser la question de comment convaincre les derniers. Plusieurs gouvernements font le choix de la coercition – et à mon avis on arrive au bout de cette politique. Rassurer, convaincre, faire appel à l’altruisme de ces derniers me semblerait beaucoup plus constructif.«
Alaric : « Je ne me l’explique pas car les conditions d’existence des non vaccinés sont à mon sens particulièrement entravées, notamment en ce qui concerne l’accès aux lieux ouverts au public et les déplacements. D’autre part, la pression sociale est très forte pour stigmatiser les non vaccinés, que ce soit dans les médias ou par le biais de différentes politiques gouvernementales qui visent à les pénaliser.«
En décembre dernier, les libéraux du gouvernement canadien ont décidé de supprimer l’assurance emploi -l’équivalent de l’assurance chômage en France-, pour les non-vaccinés qui sont dans l’impossibilité de travailler à cause de leur situation vaccinale. Comment cette mesure a-t-elle été accueillie par l’opinion publique canadienne ?
Arthur :« De façon très surprenante, j’en ai très peu entendu parler. Peut-être parce que cela concerne peu de monde finalement ? Peut-être parce que l’annonce en a été faite entre les fêtes de fin d’année ? Pas la levée de boucliers que l’on pouvait attendre en tous cas.«
Alaric : « Cette mesure est accueillie très positivement par la population qui soutient massivement l’action du gouvernement (les intentions de vote pour la CAQ aux prochaines élections frôlent les 50% ; le premier parti d’opposition doit être à 20% et les suivants autour de 10%). Ce qui est très frappant pour un Français, quelle que soit la position que l’on adopte par rapport à la vaccination, est qu’il n’existe pas au Québec d’espace pour le discours critique sur les politiques en place. Aucune pensée contradictoire n’émerge sur la scène publique. Je note également que les amendes pour non-respect du couvre-feu ou des mesures sanitaires sont absolument astronomiques (entre 1000 et 6000 dollars) ce qui limite très largement la capacité des populations à manifester ou à promouvoir une forme de désobéissance civique. Quand l’Etat « prévoyant et doux » de Tocqueville se transforme sous nos yeux en dictature par décret… J’insiste sur le fait que je ne suis pas en soi opposé à la vaccination et que le constat que je fais ici est partagé par la communauté française, quelle que soit sa position par rapport à la vaccination. Il s’agit là d’une profonde différence culturelle entre un peuple qui place la pensée critique au cœur de son développement intellectuel et social, et un peuple beaucoup plus conformiste.«
La province du Québec a elle, décidé d’aller encore plus loin dans le durcissement des mesures contre ceux qui refusent le vaccin contre la Covid-19. En effet, le gouvernement de la province francophone du Canada souhaite tout simplement mettre en place une taxe pour les non-vaccinés. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Existe-t-il d’autres mesures coercitives à l’encontre des non-vaccinés au Québec ?
Arthur : « Déjà, je ne suis pas sûr que ce soit aller encore plus loin. Entre perdre son emploi ou payer une taxe, je pense que nombreux sont ceux qui préfèreront garder leur emploi. Pour l’instant, cette proposition reste hypothétique et vague. On verra si et comment elle est un jour mise en œuvre, si elle est même légale. À titre personnel, je m’inquiéterais d’un modèle social où l’on ferait contribuer chacun en fonction de risques pris : doit-on imposer une taxe sur les skieurs et les pilotes ? sur les fumeurs et les consommateurs de fast foods ? sur ceux qui ne se vaccinent pas contre la grippe chaque année ?«
Alaric : « A mon sens il s’agit là de spéculation et de débats journalistiques plus que d’une véritable intention du gouvernement qui ne souhaite pas diviser sa population !«
Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Arthur : « La pandémie a été particulièrement rude pour les expatriés. Elle a été aussi particulièrement rude pour les jeunes parents. Elle a été rude pour les enfants, et pour le corps médical. Elle a été rude pour les entrepreneurs et pour ceux dont les revenus ont été affectés. Elle a été rude pour les vaccinés et pour les non vaccinés. Elle a été rude pour tout le monde. Je crois que c’est en reconnaissant cela aujourd’hui que l’on pourra le plus rapidement possible retourner à une vie normale, et retrouver un niveau agréable de cohésion sociale.«