Les Etats-Unis viennent de se déclarer favorables à la levée des brevets sur les vaccins anti-Covid. La décision de Joe Biden n’a pas manqué de surprendre, même si elle s’inscrit en droite ligne de sa philosophie. Dans bien des domaines, à l’inverse de son prédécesseur, le président démocrate entend montrer l’exemple et devenir le phare du monde en militant pour le climat, contre la guerre, pour plus de justice, moins de nationalisme.
Son idée sur le front vaccinal ne peut lui attirer que le soutien d’une grande partie de la communauté internationale et le rendre sympathique à ses yeux. L’Inde et l’Afrique du Sud, durement touchées par le coronavirus, la défendent depuis de nombreux mois. Une centaine de pays ainsi que des organisations non gouvernementales, comme Médecins sans frontières, aussi. Mais les bons sentiments ne font pas toujours une bonne politique. Il y a de fortes chances pour que l’initiative américaine reste lettre morte, une belle opération de communication, car elle paraît très difficile à mettre en œuvre.
Les Européens, les Allemands en tête, ne plaident pas en faveur de cette levée. Du moins pas si vite. Dans une interview récente au « New York Times », la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré « qu’il convenait de conserver l’ingéniosité du secteur privé ». Emmanuel Macron, lui-même, y est hostile, préférant privilégier d’autres pistes pour rendre le précieux sérum accessible aux pays les plus pauvres.
Au sommet de Porto, la semaine dernière, les Vingt-Sept se sont très majoritairement montrés sceptiques sur la proposition américaine. Nombre de dirigeants du vieux continent dénoncent, en outre, une certaine « hypocrisie » de l’administration américaine qui rechigne, comme la Grande Bretagne, à exporter les doses fabriquées sur son sol.
Il convient de rappeler que Washington et Londres ont attendu que la majorité de leur population respective soit vaccinée pour desserrer l’étau. L’Union européenne, elle, a déjà exporté 200 millions de doses, soit à peu près autant que ce qui a été livré à ses États membres. Autant dire que la diplomatie du vaccin bat son plein.
Pour leur part, les industriels concernés, très attachés au respect de la propriété intellectuelle, estiment que la levée des brevets va les priver de revenus indispensables pour financer une innovation très coûteuse. «
C’est une fausse bonne idée généreuse, souligne le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux. Un vaccin, c’est compliqué à produire et il ne suffit pas de remplir des flacons. Beaucoup de pays émergents n’ont pas l’outil industriel pour le faire et faire tomber les brevets dans le domaine public n’y changera rien. Il est plus utile pour éradiquer le virus que les usines européennes tournent à plein régime et exportent leurs vaccins à prix coûtant ». Un point de vue qui a le mérite de conjuguer générosité et pragmatisme.
Le vrai défi semble effectivement au niveau de la production, qui n’est pas suffisante. La mesure préconisée par Joe Biden, selon la Fédération internationale des laboratoires, « n’augmentera pas la production et ne fournira pas les solutions ». Elle pourrait, au contraire, « favoriser la prolifération des vaccins contrefaits », renchérit-on à la Fédération américaine de la pharmacie.
Ce sont les pénuries et les insuffisances des chaînes d’approvisionnement qui doivent être surmontées, insistent les spécialistes. De même que la réticence des pays riches à partager les doses avec les pays pauvres. La levée des brevets ne règlera rien de tout cela. « Mettre en place de nouvelles lignes de production ne se fait pas en six mois. Il faut acheter des machines, faire certifier les procédés de fabrication », remarque Stéphane Bancel, le patron français de la biotech Moderna, installée aux Etats-Unis.
Quoi qu’il en soit, si la levée temporaire des brevets était actée, sa mise en place prendrait du temps. Elle impliquerait un accord à l’Organisation mondiale du commerce, une organisation internationale qui fonctionne par consensus. Les négociations pourraient par ailleurs aboutir à une dérogation de portée beaucoup plus étroite et de durée plus courte que celle souhaitée… Affaire à suivre donc.
L’équipe de l’ASFE