L’équipe de l’ASFE s’est entretenue avec Eric Merlin, entrepreneur « durable » Français résidant en Italie. Après un tour du monde et un parcours atypique, Eric a décidé d’inscrire son projet professionnel dans le respect de l’environnement. Ce projet est la création d’un « écolodge » en plein cœur de l’Italie, dans un site naturel particulièrement préservé : la Réserve Naturelle Nationale des Gorges du Furlo.
Quel est votre parcours ? Pourquoi avoir choisi de faire un tour du monde en 2005 ? Quel impact ce voyage a-t-il eu sur votre vie ?
Né de parents français, j’ai habité en Belgique dès l’âge de 3 ans. Etudes dans un collège français en Belgique à Estaimpuis, puis Bac D en France. Etudes supérieures à l’IHECS en Belgique. J’ai donc dès le plus jeune âge bénéficié d’une double culture franco-belge. Ça évite de devenir trop chauvin …
Issu d’une école de communication, j’ai démarré ma carrière en agence de pub dans un grand groupe. Puis, en 1995 j’ai créé ma propre agence. Après 10 ans, en 2005, nous avons décidé de faire un Tour du Monde en famille pendant un an.
J’ai toujours beaucoup voyagé, mais un tour du monde est une expérience différente, il y a bien sûr le voyage mais c’est aussi et une expérience humaine avant tout : familiale (on vit 24h/24 ensemble, cela n’arrive jamais dans la vie normale, ça permet de découvrir ses enfants en profondeur, c’est aussi une épreuve test pour le couple) et relationnelle (le plaisir de rencontrer l’autre sans arrière pensée, juste pour le plaisir).
C’est une expérience qui marque. J’ai compris que la vie que je menais devais changer, que notre manière de vivre devait changer. Mon engagement écologique date de cette période. J’étais déjà sensibilisé, je suis passé à l’action.
Quand je suis rentré après un an, j’ai mis mon agence sur les rails vers le développement durable, nous sommes devenus lauréat du Réseau Alliances assez rapidement, et notre clientèle s’est développée vers des clients de ces univers durables : énergies renouvelables, mobilités nouvelles et douces, accompagnement des changements de comportements, etc.
C’est après mon tour du monde de 2005-2006 que je suis revenu au Furlo (que je connaissais depuis 1993) et que j’ai senti comme une évidence que mon futur se ferait là ! J’ai donc commencé à envisager la cession de mon entreprise et mon désengagement dès 2008. Puis la crise est passée par là, ce qui a retardé mes plans.
Mais la chance m’a souri puisque fin 2013 j’ai appris que la vieille caserne des gardes forestiers, abandonnée depuis 30 ans, était mise en vente publique. J’ai finalement réussi à l’acquérir en septembre 2016. Dès lors, j’ai accéléré la passation et il était évident pour moi, expert du développement durable, que le projet se devait d’être un modèle de restructuration en mode écologique. C’est comme ça qu’est née « La Forestale ».
Qu’est-ce qu’un écolodge ? En quoi consiste votre projet et quelles en sont ses dimensions environnementales ?
A ma connaissance, pour qualifier un ecolodge, il n’y a pas de critère “officiel” ou pré-défini. Cependant la définition de wikipédia est claire :
» Un écolodge est une forme d’habitat destiné à l’accueil de touristes. Ce mot est un anglicisme composé du terme « lodge » désignant une petite structure d’hébergement touristique, et du terme « éco » qui indique un souci de répondre à des règles écologiques.
Ainsi, un écolodge se veut à la fois un lieu d’accueil touristique économiquement viable, mais qui s’insère également dans le milieu naturel qui l’entoure ; le but étant de limiter au maximum les impacts négatifs liés au tourisme. Ce type d’hébergement s’inscrit donc dans le mouvement de l’écotourisme, ou tourisme responsable. Il répond donc à quelques principes :
- Préserver la faune et la flore locale ;
- Privilégier l’économie locale ;
- Initier les touristes et les salariés de l’écolodge au respect de l’environnement ;
- Limiter l’impact environnemental des déchets ;
- Consommation maîtrisée d’énergie en privilégiant les circuits locaux et les sources renouvelables.
L’écolodge doit s’intégrer parfaitement à son milieu : dès le départ lors de sa conception, puis lors de sa construction jusqu’à son exploitation. Toutefois ce ne sont là que des principes généraux, l’absence de label international ne permet pas de dégager un cahier des charges strict.
En termes de marché, les écolodges sont des lieux privilégiés d’une clientèle ayant un niveau de vie relativement élevé. D’origine souvent urbaine, ces touristes cherchent un dépaysement et un mode de vie alternatif que ne leur offrent pas les structures de tourisme classique. »
J’ai utilisé cette appellation anglo-saxonne pour trois raisons :
- Le projet de La Forestale correspond parfaitement à la définition ci-dessus ;
- Peu ou pas utilisée en Italie, elle me permettait d’être différent des B&B, de sortir du marché par le haut d’autant que La Forestale, avant le Covid, était destinée à la clientèle étrangère et peu aux Italiens ;
- Le mot contient cet aspect éco et donc proche de la nature, c’est une appellation beaucoup utilisée en Afrique pour les logements situés dans les réserves où logent les touristes qui font des safaris.
Les initiatives éco :
- Parfaite intégration dans son environnement naturel sans empreinte supplémentaire, puisque c’est une revalorisation d’un bâtiment existant mais abandonné qui constituait une “friche” vouée à la ruine à long terme ;
- Toute la construction a été guidée par le respect de l’éco-construction et le sourcing de produits écologiques/green/biosourcés, et recyclables (verre, acier, bois), etc.
- En fonctionnement, nous avons un partenariat avec une “ecolavanderia” pour le linge des chambres avec traitement sanitaire à l’ozone, tout est organisé pour éviter le plastique, recyclage à tous les étages, mise en place du compostage pour réduire les déchets, incitation des clients à limiter leur consommation d’énergie, nourriture exclusivement bio et locale, etc.
- L’énergie est uniquement solaire : installation photovoltaïque de 54 panneaux pour 18 500 w et batterie de 10 000 w pour couvrir les consos du bâtiment, chauffage au sol alimenté par une pompe à chaleur dernière génération, traitement écologique des eaux noires et grises, et récupération des eaux de pluies pour utilisation dans les WC.
Pourquoi avez-vous choisi l’Italie et la réserve Naturelle Nationale des Gorges du Furlo ?
La Forestale est située dans une réserve naturelle d’état, La Riserva Naturale Statale della Gola del Furlo, célèbre pour ses gorges (gola), ses aigles royaux et la couleur émeraude de la rivière Candigliano, dans la région des Marches (au milieu de l’Italie). Elle est sur la Commune d’ACQUALAGNA, capitale de la truffe blanche et seule zone où l’on trouve de la truffe toute l’année (il en existe plus de 8 sortes différentes).
L’aéroport le plus proche est Ancone, puis Pérouse, et Bologne. Nous sommes dans la province de Pesaro-Urbino, la “grande” ville la plus proche est Pesaro, Urbino étant la plus vieille ville universitaire d’Italie et classée Patrimoine Mondial de l’Unesco.
Le Furlo est un lieu incroyablement préservé : un authentique paradis pour les amateurs de nature sauvage. La rivière Candigliano, réputée pour sa couleur émeraude assez irréelle, serpente entre les parois rocheuses imposantes des gorges du Furlo, des beautés façonnées au fil des millénaires par la rivière. Pour des selfies réussis 😉
C’est un lieu extraordinairement riche à tout point de vue : merveilles géologiques et géo-morphologiques, sites préhistoriques et lieux de paléontologie, exceptionnelle biodiversité de la faune et de la flore.
Sans compter la partie historique qui embrasse les étrusques, la richesse de la civilisation romaine (la Gola del Furlo est sur la Via Flaminia, la voie romaine qui reliait l’Adriatique à Rome) jusqu’à Benito Mussolini qui passait ses vacances estivales au Furlo (où l’on peut encore visiter les vestiges de la salle à manger et la chambre à coucher du Duce, pour ceux que ça intéresse).
Mais surtout, surtout, la Réserve est la paradis de l’Outdoor : la marche d’abord, petites balades ou grandes boucles de trekking, le vélo ensuite, de route ou VTT. Un gros travail de balisage a été réalisé ces dernières années pour présenter une offre de sentiers balisés pour tous les niveaux.
Par ailleurs, ici vous pourrez aussi pratiquer l’escalade. Et les jeux d’eau : kayak, canyoning, baignades dans les rivières, …
Quelles ont été les difficultés que vous avez pu rencontrer tout au long de votre projet ?
Les difficultés pour réaliser un tel projet dans un environnement étranger sont bien évidemment multiples.
D’abord la barrière de la langue : quand je suis arrivé pour démarrer le projet, je ne parlais pas italien, j’ai donc dû trouver des gens qui parlaient français mais après quelques mois le problème ne se pose plus, puisque vous êtes obligé de vous débrouiller, l’apprentissage vient assez vite.
Ensuite la fameuse “bureaucratie italienne” qui n’est pas une légende… Ici tout est possible, mais tout est compliqué. L’esprit italien aime le détail, les pinailleries sont innombrables. Et dès qu’il faut rentrer en contact avec les institutions, c’est Astérix chez les Romains !
Enfin le système bancaire italien est assez différent du français, et en tant qu’entrepreneur, j’ai été assez surpris du manque d’entrain des banques italiennes sur l’entreprenariat, les projets et la prise de risque. Malgré tous les superbes business plans présentés, la seule chose qui les intéressait était mon revenu fixe mensuel ! Aucun banquier ne s’est projeté dans le projet et dans le futur, seul le passé les intéressait…
Quels conseils donneriez-vous à un Français qui veut se lancer aujourd’hui ?
Bien préparer en amont : si vous êtes encore en France, trouvez un cabinet d’avocats implanté dans les deux pays, ou trouvez un avocat italien qui parle français.
Ensuite, une fois sur place, il y a une règle d’or : on ne peut entreprendre sur un territoire inconnu sans avoir “un sherpa”. Quelqu’un qui habite l’endroit où vous voulez vous installer, qui non seulement parle la langue et est natif du lieu, mais bénéficie surtout d’un réseau, de connaissances, qui peut vous aider dans vos premières démarches. Au moins la première année, le temps de l’atterrissage.
Ensuite, autre règle valable pour tout entrepreneur, savoir s’entourer : banquier, avocat, comptable, amis de confiance. Ne pas hésiter à changer de conseiller ou de banque si vous ne le sentez pas. Et beaucoup questionner (clients, fournisseurs) et beaucoup rencontrer (fournisseurs, hommes politiques, institutions locales, etc.) pour vous faire connaître et faire connaître votre projet.
Et préférer la position “profil bas” (je m’excuse, je suis étranger, je ne comprends pas/je n’y arrive pas, etc.), les gens sont toujours ravis de pouvoir vous aider quand vous leur demandez gentiment. La collaboration est plus efficace que la confrontation…