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Autriche : un mois après l’attentat du 2 novembre

Il y a un mois, le 2 novembre dernier, se produisait un attentat dans les rues de Vienne, faisant 4 morts et 23 blessés. L’équipe de l’ASFE a pu s’entretenir avec Yoann Longuestre, Français résidant à Vienne depuis 10 ans et consultant en relations internationales, au sujet de la montée de l’insécurité et de la peur du terrorisme en Europe.

Aujourd’hui, quelle est la situation en Autriche ? L’attentat du 2 novembre dernier a-t-il laissé des marques dans la société ?

Le 2 novembre dernier, la ville de Vienne rejoint la liste des capitales européennes touchées par le terrorisme. Si cette attaque a suscité une large vague d’indignation et de nombreux témoignages de soutien et de solidarité nationale dans les jours qui ont suivi, elle n’a pas engendré de climat de peur ou de panique.

Au contraire, la population viennoise a fait preuve d’une résilience remarquable, symbolisée par la phrase prononcée par ce témoin sur l’une des nombreuses vidéos de l’attaque : „Schleich di, du Oaschloch“, qui signifie « casse-toi, espèce de c** ». Cette expression typiquement viennoise a été largement reprise par la presse locale et les réseaux sociaux, telle une métaphore du sentiment populaire. Quant à la réponse policière, les premiers appels d’urgence ont été émis vers 19h45 et le terroriste a été neutralisé à 20h09.

En réponse à votre question, les conséquences ont été davantage politiques que sociétales, notamment dans le sillage du scandale qui a touché le BVT en 2018[1]. Le Ministre de l’Intérieur de l’époque, et l’un des chefs du parti d’extrême droite, réputé proche de la Russie, Herbert Kickl, avait ordonné la suspension du directeur du service et la saisie de documents, sur fond d’accusations de corruption et d’intelligence avec une puissance étrangère.

Cette affaire a considérablement affaibli le BVT, tant au niveau national, qu’en matière de coopération avec les autres services occidentaux, ceux-ci soupçonnant la pénétration des services autrichiens au profit de Moscou. Dans une ville considérée comme la capitale mondiale de l’espionnage, le scandale avait été retentissant. Les conséquences de cette affaire sont directement liées aux dysfonctionnements qui ont amené à cette tragédie. L’actuel Ministre de l’Intérieur, le conservateur Karl Nehammer, n’a pas manqué de souligner la responsabilité de son prédécesseur.


[1] Bundesamt für Verfassungsschutz und Terrorismusbekämpfung (BVT), le service de renseignement intérieur et de contre-espionnage autrichien.

Le plus haut niveau du plan Vigipirate « Urgence attentat » avait été déclenché juste après l’assassinat de Samuel Paty et l’appel d’Al Qaïda à viser les intérêts français : quels dispositifs sont mis en place pour renforcer la sécurité des personnes en Autriche ?

Un important dispositif policier a été déployé dans les heures qui ont suivi les attentats, notamment aux abords de certaines ambassades, dont l’ambassade de France, ainsi que plusieurs lieux de culte de la ville. Mais la mise en place du second confinement, prévu le lendemain des attaques, a évité à la population de ressentir une quelconque forme chape de plomb sécuritaire comme cela pourrait être le cas en France ou dans d’autres pays à la suite d’événements similaires.

Un aspect intéressant de la riposte autrichienne porte sur le financement du terrorisme, avec l’annonce dès le 14 novembre, de la saisie ou du gel de plus de 20 millions d’euros d’actifs liés au financement du terrorisme. En termes d’impact global, il s’agit sans doute de la mesure la plus efficace visant à limiter la marge de manœuvre de cellules terroristes. En effet, ce dernier épisode terroriste participe d’une tendance s’éloignant des attaques terroristes caractérisées par un degré élevé de préparation vers des attaques perpétrées par des auteurs individuels, nécessitant un niveau minimal de planification et de coordination. Toutefois, les terroristes ont toujours besoin de financement pour recruter et soutenir leurs membres, entretenir les plateformes logistiques et mener leurs opérations. Il est donc essentiel de les empêcher d’accéder à des ressources financières pour contrer avec succès la menace qu’ils représentent.

Comment percevez-vous en tant que Français la menace terroriste depuis l’étranger ?

La réponse à cette question s’inscrit dans un cadre bien plus large que les attentats de Vienne, qui ont le triste privilège d’avoir démontré une fois de plus que nous ne sommes à l’abri du terrorisme nulle part. Si le concept de menace terroriste nous est tous spontanément familier et s’inscrit dans notre réalité moderne, il devient rapidement plus difficile à cerner lorsqu’il s’agit d’en définir les contours dans le temps et dans l’espace. Et cet exercice se complique davantage lorsque s’ajoute aux considérations sécuritaires, politiques et diplomatiques les dimensions religieuses, culturelles et sociales.

La multiplication des interventions militaires et des conflits de moyenne intensité, additionnée au renforcement des mesures de sécurité réduisant les libertés individuelles donne clairement le sentiment que, si les Etats ont nettement augmenté leur intensité opérationnelle en matière de lutte contre le terrorisme au cours des vingt dernières, nous ne voyons aucun progrès.

Au contraire, la tentation globale est de se résigner à la menace terroriste comme un état de fait. Et l’amalgame grandissant entre Islam et terrorisme, raccourci dangereux utilisé afin de capitaliser politiquement sur les peurs et les frustrations des populations, entraîne à chaque nouvel attentat les gouvernements à devoir faire face à une trajectoire d’opinion publique qui passe rapidement du soutien à la contestation, pour aboutir à l’hostilité pure et simple. Les gens en ont tout simplement assez des minutes de silence et des drapeaux en berne. Ils veulent juste qu’on leur dise que c’est fini.

Or cela, les groupes terroristes l’ont parfaitement compris. Et leur tactique est aussi brillante qu’exaspérante. Fondus dans la foule, sans drapeaux, sans uniformes et parfois même sans nationalité. On en arrive à se demander :  Qui combattons-nous ? Dans une telle situation, nos amis s’habillent comme nos ennemis et nos ennemis s’habillent comme nos amis. Ce que nous devons comprendre, c’est que notre ennemi soi-disant peu sophistiqué est parvenu depuis longtemps à la conclusion suivante : nous sommes une cible facile. Et notre conception de la société libre est bien plus simple à mettre en péril que nous ne le pensons.

Le chancelier Kurz et Emmanuel Macron ont appelé l’Union Européenne à s’unir contre l’islam radical lors d’un mini-sommet à Paris le mois dernier : où en est le programme européen en matière de sécurité ?

Les déclarations d’intention prononcées dans le cadre de ce mini-sommet vont toutes dans le bon sens : défense des valeurs européennes, renforcement de la coopération entre services de police, de justice et de renseignements, la lutte contre la propagande terroriste sur Internet, renforcement de la protection aux frontières extérieures de l’Europe, etc. Il s’agit maintenant de voir si elles vont effectivement se transformer en un programme structuré au niveau communautaire. Et surtout si les crédits budgétaires suivront à l’échelle des 27.

A ce propos, l’Autriche a déjà annoncé que le budget de la police sera augmenté de 215 millions d’euros en 2021. Et en termes de travail de fond dans la lutte contre l’Islam radical, l’Autriche a là aussi déjà innové, avec la création depuis cet été d’un centre de documentation sur l’Islam politique, dont les objectifs sont la lutte contre l’Islam radical par la recherche et la documentation scientifiques, et la collecte d’informations sur l’extrémisme politique à motivation religieuse.

Yoann Longuestre, Français résidant à Vienne et consultant en relations internationales.
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