L’ASFE s’est entretenue avec Anna TREHOREL, représentante de l’ASFE en Ethiopie et Fondatrice d’Ethiopia Wud Bete – une association pour les Ethiopiens adoptés à l’étranger qui décident de rentrer en Ethiopie. Son témoignage revient sur la raison de son engagement et nous livre des récits de vie de personnes adoptés originaires d’Ethiopie.
Avec 110 millions d’habitants, l’Ethiopie est le second pays le plus peuplé d’Afrique, et un des plus pauvres du monde : 29% de la population vit en dessous du seuil international de pauvreté. Est-ce que la majorité des enfants adoptés est issue principalement des milieux défavorisés ? A-t-on des chiffres sur le nombre d’adoptions par des étrangers d’enfants Ethiopiens ?
La raison première qui a favorisé les adoptions est en effet le manque de ressource des familles biologique éthiopiennes. Une grande partie des adoptions d’enfants éthiopiens a eu lieu à la suite de la guerre entre l’Ethiopie et l’Erythrée et de la famine qui a suivi : ces évènements ont mis de nombreuses familles dans des situations précaires et les ont ainsi poussées à prendre la décision de confier leurs enfants à des organismes d’adoption.
Par exemple, aux Etat-Unis le nombre d’adoptions entre 1999 et 2018 tournait autour de 16 000 enfants éthiopiens.
Qu’est-ce qui explique le nombre massif d’adoptions ? Quels sont principalement les pays où ces enfants ont été adoptés ? Comment se passait, à l’époque, une procédure d’adoption ?
Il y a plusieurs raisons qui expliquent les adoptions massives, que ça soit en Ethiopie ou dans d’autres pays « défavorisés ». Un des élément qui peut expliquer ces adoptions massives est sûrement le nombre d’organismes présents sur place à l’époque. Dans la mentalité d’une partie de la population d’il y a 20 ou 10 ans, l’adoption était un moyen pour l’enfant de recevoir une éducation à l’internationale afin de pouvoir un jour revenir au pays et aider sa famille biologique.
En discutant avec des adoptés, beaucoup d’histoires se rejoignent sur l’ignorance des familles concernant les réelles conséquences d’un abandon de leurs enfants aux œuvres à qui ils les confiaient. De plus, en France ou ailleurs, l’adoption était souvent vue comme une aide à un enfant supposé être orphelin. A l’international, l’Ethiopie était seulement dépeinte comme un pays où seule la famine et la guerre régnaient. Je suppose que ça a nourri l’effet d’urgence d’adopter des enfants en masse.
Les procédures étaient souvent longues et chaque organisme d’adoption avait son propre fonctionnement. Avant leur adoption, les enfants étaient des orphelins dans la capitale à Addis Abeba et attendaient quelque mois avant qu’une famille soit sélectionnée pour partir et vivre avec eux. Les familles devaient passer de nombreux tests pour prouver leurs bonnes intentions, cela pouvait durer quelques mois ou quelques années. Les principaux pays où les enfants étaient adoptés étaient : les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Espagne, la France ou encore l’Italie et la Hollande.
L’amharique est la principale langue de l’Ethiopie, mais il existe environ 100 langues officielles dans le pays. Est-ce que la multitude de dialectes en Ethiopie est ou a été un obstacle dans la prise d’informations concernant les cas d’adoption (identité, âge, lieu de naissance, etc.) ?
Cela dépend de l’origine de l’enfant, d’où il est né en Ethiopie. Le problème de langues pouvait arriver lorsque le membre de la famille qui a confié l’enfant où l’enfant lui-même, ne parlaient pas l’amharique et que les informations liées à son identité ont donc pu être mal transmises par les organismes.
Dans la majorité des cas, l’âge était changé, le lieu de naissance également. Savoir aujourd’hui si c’était un choix volontaire ou non par ces organismes est une autre question. Lorsque les adoptés font leur recherches c’est souvent quelque chose de compliqué à comprendre : comment on a pu si facilement donner un âge parfois très éloigné de la réalité..
45% des enfants adoptés à l’étranger par des Français sont originaires d’Afrique. Sait-on combien d’Ethiopiens ont été adoptés par des Français ? Qu’est-ce qui a amené l’Éthiopie à interdire l’adoption par les étrangers, il y a maintenant 3 ans ?
En France, l’adoption internationale représentait encore il y a quelques années plus de 80% des adoptions. Selon la mission de l’adoption internationale (MAI), il y aurait eu entre 1980 et 2018, environ 6 000 adoptions d’enfants éthiopiens en France.
Depuis bientôt 3 ans, le parlement éthiopien a voté l’interdiction des adoptions par des candidats étrangers, et préfère depuis privilégier les prises en charges locales (au sein des familles quand c’est possible ou par des familles éthiopiennes qui en font la demande). Les raisons premières de cet arrêt étaient les nombreuses plaintes et abus liés aux adoptions qui avaient eu lieu pendant de nombreuses années. C’est malheureusement quelque chose dont on ne parle pas assez et qui est important.
Il y a eu beaucoup de cas de maltraitance au sein des familles adoptives, de corruption dans les agences, de familles éthiopiennes qui estiment s’être fait manipuler, de trafics d’enfants qui augmentent, etc. Les adoptions entre l’Ethiopie et la France avaient cependant été déjà suspendues dès 2016 par le ministère des Affaires étrangères. L’Ethiopie ne faisant pas partie de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, les contrôles et les vérifications sur l’enfant et son environnement n’étaient donc pas effectués. Aujourd’hui, la majorité des adoptés qui cherchent à savoir d’où ils viennent découvrent une famille supposée être inexistante…
Quand et pourquoi avez-vous fondé votre association ? Quelle est sa mission ?
L’association a été créée en février 2020 à la suite d’une conversation intense et nécessaire sur le manque d’informations et de structures d’accueil pour le retour des personnes adoptées francophones en Éthiopie. Ethiopia Wud Bete, qui peut se traduire par « Ethiopie, ma chère maison » est faite par des adoptés pour les adoptés.
Nous avons ressenti le besoin de créer un support pour cette communauté afin de faciliter l’expérience du retour au pays en partageant nos expériences et les informations que nous avons recueillies au préalable.
Afin de donner une visibilité adaptée, nous souhaitions donc les accompagner dans leurs différentes procédures de retour à travers sept thématiques principales : Identités d’adopté(e)s (témoignages) ; Retour aux sources ; Langue(s) (bases d’amharique); Culture(s) et société (événements et fêtes); Économie et affaires (annonces de job) ; Administration et institutions (les droits et papiers utiles) ; Nouvelles d’Éthiopie (petit journal relatant les infos) ; Événements et soutien à la communauté.
Est-il simple, pour un enfant né en Ethiopie, adopté par une famille française, de rentrer en Ethiopie et retrouver sa famille biologique ? A quelles difficultés peut-il se heurter ?
Il y a beaucoup d’éléments à prendre en compte pour répondre à ces questions. Tout d’abord il n’est pas évident pour tous les adoptés de vouloir revenir ici, en Ethiopie. Les histoires sont très différentes d’un individu à l’autre.
Les traumatismes qu’il a pu vivre, les familles dans lesquelles il a grandi aussi bien avant son adoption qu’après, l’âge auquel il est parti, son degré de sensibilité concernant son identité et son passé… tout ceci peut avoir un impact différent chez chacun. Ce qui est, je pense, commun à tous les adoptés qui est la recherche d’identité afin de se connaître et essayer au mieux de comprendre pourquoi on a été adopté.
Alors quand on passe l’étape des questionnements et qu’on franchit la dernière ligne pour rentrer au pays et faire les recherches, il faut s’armer d’une grande patience et composer avec les souvenirs que l’on a, la situation politique/sanitaire de l’époque, les histoires qui sont racontées par les familles. Le plus difficile est de s’entourer de personnes bienveillantes qui ne cherchent pas à soutirer quoi que ça soit de la situation délicate dans laquelle l’adopté se trouve lorsqu’il fait ses recherches.
Il faut être psychologiquement prêt à toutes informations difficiles qu’on peut recevoir. En soit, les recherches peuvent durer quelques jours comme quelques mois ou quelques années. Après cela, la rencontre avec la famille ou même avec les Ethiopiens en général peut être brutale si elle n’est pas préparée, si en face de soi on a des gens qui ne comprennent pas la situation dans laquelle on est. La barrière de la langue est une des difficultés les plus courantes ; ne pas pouvoir communiquer et avoir les réponses aux questions exactes qui trottent dans votre tête depuis de longues années peut parfois être déstabilisant. Aujourd’hui avec Facebook et les autres réseaux sociaux, retrouver les membres d’une famille s’avère plus simple qu’il y a quelques années mais encore une fois c’est différent d’une histoire à l’ autre.
Un conflit armé oppose actuellement le gouvernement du premier ministre Abiy Ahmed au Front populaire de libération du Tigré. De nombreux civils auraient été tués selon l’ONU. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la situation actuelle de l’Ethiopie ?
La situation en Ethiopie est extrêmement préoccupante. Personnellement toute ma famille se trouve au Tigré et nous n’avons aucune nouvelle d’eux depuis l’annonce du Premier ministre, il y a maintenant trois semaines. Le gouvernement a en effet décidé de couper le réseau mobile, l’accès internet et parfois l’eau à toute la région.
La population tigréenne, qui est majoritairement rurale, se retrouve sans accès et cloisonnée. Les frontières avec la région sont fermées et les informations que nous recevons ne peuvent pas toujours être vérifiées. Quant au reste du pays, des combats entre les forces gouvernementales et le TPLF, et parfois d’autres groupes, se multiplient en même temps que les morts s’additionnent.
La situation est alarmante pour tous les Ethiopiens, il y a cette fatigue et cette inquiétude permanentes qui planent à Addis. Ce pays donne la sensation qu’il ne se reposera jamais : les guerres inter-ethniques, les instabilités politiques, les problèmes sanitaires et écologiques s’accumulent : l’histoire se répète sans que les dirigeants n’apprennent du passé si difficile de l’Ethiopie.
Avez-vous autre chose à ajouter ?
J’aimerais finir sur une note plus positive en disant que malgré tous ça, l’Ethiopie reste un pays sublime. Avec une histoire, une culture, une population bien loin de ces conflits de pouvoirs. Ce n’est pas pour rien que nous avons appelé notre association « Ethiopie, ma chère maison » et qu’on a du mal à la quitter : c’est un sentiment national traditionnel éthiopien de considérer notre pays comme notre maison et notre mère. Un sentiment qui, je l’espère, rassemblera ses dirigeants plutôt que de les diviser, encore.