John Broadhusrt est un entrepreneur né aux Etats-Unis. Marié à une française, ils vivent actuellement à New York, où John dirige un cabinet de conseil spécialisé dans les services marketing. Voici sa réaction*, recueillie le weekend dernier, sur le résultat des élections américaines (propos traduit de l’anglais).
Pourquoi l’élection présidentielle a-t-elle eu lieu dans un climat de tension pareil ? Pensez-vous que la très longue attente des résultats et le vote par correspondance aient renforcé cette crispation ?
Ce climat de tension peut d’abord être attribué au discours ininterrompu de Donald Trump. Visant à délégitimer le processus démocratique en amont du scrutin en affirmant notamment que l’élection était truquée, que le Parti Démocrate lui volait sa réélection et que le vote par correspondance serait à l’origine d’un mouvement de fraude massive à travers le pays – le tout sans aucune preuve.
Soutenant que lui et ses partisans ne reconnaitraient pas le résultat du vote, cette utilisation de la violence dans le discours d’un président a sans aucun doute choqué des millions d’américains, quelle que soit leur affiliation politique.
La victoire de Joe Biden est-elle le résultat d’un vote anti-Trump ou d’un véritable mouvement pro-démocrate ?
La réunification du parti Démocrate et le taux de participation historique – conséquence de la campagne « get out and vote » » [campagne d’incitation à la participation électorale, NDLR] – ont été d’importants éléments de moteurs à l’élection de Joe Biden.
Autre fait majeur, l’inversion des rapports de force dans les « swing-states » [états-clés, NDLR]. En Pennsylvanie par exemple, un état que Hillary Clinton avait perdu d’à peu près 44 000 voix en 2016 mais remporté, cette année, par le candidat démocrate avec une marge semblable. Ce même phénomène a eu lieu dans le Wisconsin et le Michigan.
Dans chacun de ces cas, l’électorat de Trump se concentre dans les régions rurales alors que celui de Joe Biden, dans les zones urbaines. Ce dernier est également le vainqueur du vote populaire avec au moins 4 000 000 de votes de plus que le président sortant.
Pourtant, et contrairement aux attentes des militants libéraux et progressistes qui espéraient une véritable « vague bleue », la victoire de Biden n’est pas le signe d’un rejet massif de Trump et du trumpisme. Le système politique américain vise, de toute façon, à limiter fortement les raz-de-marée électoraux. En 1960 par exemple, Kennedy gagnait la présidentielle avec 100 000 voix d’avance et en 1968, à la victoire de Nixon, celui-ci devançait son adversaire de 500 000 votes.
Enfin, ce résultat est-il un vote de contestation ? Après quatre années d’affaiblissement de la loi, de népotisme, de racisme, d’agitations citoyennes, d’érosion des prérogatives fédérales, d’exonérations fiscales régressives, de retrait des organisations internationales et une pandémie qui aura coûté la vie à 230 000 personnes, les sondages annonçaient une forte baisse de popularité pour le président sortant. Bien que cela soit reflété par le résultat final, les performances politiques de Donald Trump et l’adhésion à son projet – plus de 70 millions de votes – ont déconcerté les analystes.
De nombreuses manifestations pro-Trump, en contestation des résultats, commencent à apparaître. Pensez-vous qu’elles puissent dégénérer ? Sont-elles la conséquence de ces mois de tension ou simplement un autre épisode ?
La manière dont les militants pro-Trump réagiront à l’élection de Biden dépendra, du moins en partie, des discours et actions du président dans les semaines à venir. Les partisans de Donald Trump ne forment pas un groupe homogène. Certaines franges extrêmes peuvent être très violentes à la moindre provocation.
Le respect du résultat d’un processus démocratique est pour l’instant l’une des rares normes politiques que Donald Trump n’a pas bafouées. Ainsi, la nette popularité de Joe Biden et l’absence de preuve tangible de fraude électorale rendraient vaines les contestations de Trump quant à l’issue du scrutin.
Pensez-vous que cette élection aura un quelconque impact sur le système des grands électeurs ou bien la concordance actuelle avec le vote populaire sera suffisante pour éviter sa réforme ?
Le collège électoral est une institution qui peut déformer les résultats en faveur du candidat ayant perdu le vote « populaire ».
Depuis 1988, le parti Républicain n’a gagné le vote « populaire » en scrutin présidentiel qu’une seule fois (2004). Il est donc pleinement conscient qu’une réforme du système lui serait préjudiciable et les tentatives qui s’en rapprocheraient dans un futur proche seront bloquées par le parti Républicain.
Ce système conserve ainsi une large influence sur les dynamiques politiques. George W. Bush a été élu président en 2000 malgré une large avance de son concurrent Al Gore au vote populaire. Trois ans plus tard, les États-Unis envahissaient l’Irak. En 2016, Donald Trump était élu président alors même qu’il était devancé par son adversaire au vote populaire. Trois ans plus tard, la Cour Suprême se voyait renforcer de trois nouveaux membres conservateurs, siégeant à vie. On ne refait pas l’histoire mais il est clair que les États-Unis auraient emprunté une trajectoire différente.
Comment les principales figures du parti Républicain réagiront-elles à l’attitude de Donald Trump et à sa volonté de contester les résultats ?
Les dirigeants républicains ont été soit complices soit de fidèles et actifs soutiens de Donald Trump dans ses efforts pour saper l’élection présidentielle. Maintenant qu’il a perdu, certains membres républicains du congrès tâcheront de s’éloigner de Trump sinon, d’exprimer, timidement, certaines réserves. Il est clair, néanmoins, que l’influence du président sur le noyau dur de l’électorat républicain est telle que les élus n’oseront pour l’instant pas le contredire ou s’opposer à lui. D’un autre côté, certains chercheront plutôt à apaiser Trump et ses partisans, pour satisfaire leurs ambitions présidentielles.
Comment évaluer, sous un Sénat républicain, le champ des possibilités pour la mise en place des politiques publiques démocrates par Joe Biden ? Assistera-t-on à un nouveau second mandat de Barack Obama ?
Dès son premier jour au pouvoir, à savoir le 20 janvier 2021, le nouveau président aura de nombreuses crises à gérer. La nouvelle administration devra immédiatement mettre en place de grandes politiques publiques pour résoudre la crise sanitaire et ses conséquences économiques. Si le Sénat reste républicain, le nouveau président devra, en effet, faire face à une certaine hostilité, comparable à celle qui avait accueilli Obama en 2009. Le fond et la forme de la nouvelle administration seront orientés par l’envergure des ambitions de Biden et le soutien qu’il pourra obtenir du Congrès.
Le paysage politique a considérablement changé depuis le départ d’Obama de la Maison Blanche. D’une part, l’aile libérale du parti Démocrate, ayant grandement contribué à l’élection de son candidat, ne peut plus être écartée de la décision. D’autre part, les problématiques majeures, allant de l’inégalité de revenus à la santé publique en passant par le changement climatique et la réforme de la justice ne peuvent plus être ignorées par les Démocrates modérés. C’est en se basant sur la classe ouvrière, considérée autrefois comme la base traditionnelle du parti Démocrate que Trump a remporté l’élection de 2016.