Présidentielles au Chili : deux « outsiders » au second tour

Dimanche dernier, les Chiliens ont voté pour le premier tour des élections présidentielles. Un rendez-vous déterminant dans la poursuite du processus de transformation politique et institutionnelle initié en 2019. L’équipe de l’ASFE s’est entretenue avec Bernard Garcia Larrain, juriste franco-chilien, afin d’en savoir davantage sur ce sujet.

Pouvez-vous nous présenter les candidats présents pour le second tour des élections présidentielles chiliennes ?

Les deux candidats sont José Antonio Kast, qui a obtenu 28 % des voix, et Gabriel Boric (26 % des voix). Le premier est un avocat de 55 ans qui a consacré la plupart de sa carrière à la vie politique. Il a été longtemps député de la coalition de droite qu’il a quittée il y a quatre ans pour former son propre parti (« parti républicain ») et se présenter à l’élection de 2017 où il a obtenu 8 % des voix.

Gabriel Boric est un jeune député de 35 ans, ancien dirigeant d’une fédération étudiante très active lors des grandes manifestations étudiantes de 2011. Ce mouvement est né pour se distinguer des partis de la gauche traditionnelle qui avaient négocié la transition démocratique avec les militaires à la fin des années 1980 et avaient gouverné pendant la période 1990-2010. Certains leaders de ce mouvement de jeunes ont formé une coalition de partis politiques de gauche pour se présenter aux élections. Un certain nombre d’entre eux sont aujourd’hui parlementaires, maires, conseillers municipaux, etc.

Deux candidats à l’opposé de l’échiquier politique, comment se différencient-ils sur leur programme ?

Les deux candidats ont cherché à prendre du recul par rapport aux partis traditionnels de gauche et de droite qui ont gouverné pendant les 30 dernières années.

Monsieur Kast est revenu vers les valeurs de la droite la plus traditionnelle du Chili, pour se distinguer des partis de centre droit, jugés trop libéraux en matière de sujets de société et trop permissifs en matière d’immigration et de sécurité. Cela concerne notamment la violence par des groupes terroristes dans la région de l’Araucanie et d’autres violentes manifestations de ces dernières années (attentats contre les transports publics, des églises, des bâtiments publics, des commerces, etc.). Il a fait campagne en mettant l’accent sur l’ordre, la sécurité, la prospérité et la liberté. Il considère que le développement économique et social du Chili est en grande partie redevable aux grands accords entre les coalitions politiques. Il se présente comme la seule alternative face au populisme et à la violence.

Pour sa part, Monsieur Boric fait le diagnostic inverse en mettant en avant les problèmes sociaux provoqués par le développement économique et réclame une intervention beaucoup plus forte de l’Etat dans l’économie.  En termes politiques, il considère que la gauche n’est pas allée assez loin dans les années de la transition démocratique et il a soutenu activement les manifestations de 2019. De fait, M. Boric est allié avec le Parti Communiste chilien et gouvernera avec lui, s’il est élu, pour changer radicalement le modèle de société.

Le Chili est un des pays les plus inégalitaires du monde, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Est-ce que cela explique la montée des extrémismes selon vous ?

Le Chili est l’un des pays le plus inégalitaires de l’OCDE[1] mais non pas du monde. Notre pays a connu un développement économique considérable pendant les dernières décennies. C’est l’une des raisons qui nous a permis d’intégrer ce cercle fermé qu’est l’OCDE ! Mais à côté du développement il y a certes des inégalités. Il semblerait qu’après une période de forte croissance, qui était indispensable pour combattre la pauvreté, les pouvoirs publics tentent de réfléchir à la façon de trouver le juste équilibre entre croissance et égalité. En effet, l’inégalité dans la société chilienne n’est pas un phénomène rigide, mais « dynamique », au sens que ces écarts entre les riches et les pauvres ont diminué avec le temps, la population en général s’étant enrichie les dernières années.

Malgré ce qui vient d’être exposé, il est indéniable qu’au Chili la tension sociale était grande et une telle bulle a explosé en 2019 à tel point que le pays a failli tomber dans l’anarchie. Ces tensions sociales sont, me semble-t-il, provoquées par de multiples facteurs. Il y a des causes plutôt directes comme les cas de corruption, les ententes anticoncurrentielles entre acteurs économiques des secteurs sensibles, le scandale du SENAME (service nationale des mineurs), la montée du prix du billet de métro, etc.

L’un de ces facteurs est aussi sans doute le sentiment d’inégalité qui existe mais qui peut paraître un peu abstrait ou même simpliste. Plus précisément, on pourrait penser que la population était fatiguée de la classe politique, souvent incapable de trouver des solutions équilibrées en matière, par exemple, d’éducation, de santé ou encore au sujet du système de retraites. D’un point de vue plus philosophique, la société contemporaine chilienne se caractérise moins par ce sentiment d’appartenance à une même communauté politique et plus par un sentiment de défiance à l’égard des élites. C’est là un facteur grave d’instabilité sociale. En ce qui concerne la montée des extrémismes, le Chili reste un pays modéré, démocratique et très connecté avec le reste du monde. Il participe ainsi du même mouvement de crise de la représentation politique qui existe un peu partout. Dans ce sens, il semblerait qu’une grande partie de la classe politique traditionnelle n’a pas su anticiper les nouvelles attentes de la population. Celles-ci ont été mieux appréhendées par des candidats considérés comme étant plus « indépendants » par rapport aux gouvernements de gauche et de droite qui nous ont gouvernés dans le passé.

Comment ont réagi l’opinion publique et la presse à l’annonce des résultats du premier tour ?

Ce résultat était attendu car les sondages avaient annoncé que Monsieur Kast allait gagner suivi de près par Monsieur Boric. La grande surprise (même si cela avait été annoncé par certains sondages) est le résultat, à la 3e place, d’un candidat indépendant (Franco Parisi) qui vit aux Etats-Unis et qui a fait toute sa campagne à distance, comme quoi le télétravail peut marcher très bien !

Pour la première fois en trente ans, les candidats du centre gauche et du centre droit sont absents du second tour. Comment l’expliquez-vous ?

Au bout de trente ans de gouvernement du centre droit et du centre gauche, ces partis n’ont peut-être pas su se renouveler. Il y a aussi eu des scandales politico-financiers qui ont touché la classe politique et qui ont contribué au ras-le-bol généralisé. Les candidats qui sont aujourd’hui présents au deuxième tour ont sans doute mieux capté les tendances de la société chilienne contemporaine qui a énormément changé dans les dernières années.

Dimanche dernier, les Chiliens étaient appelés aux urnes pour un scrutin à enjeux multiples. En effet, ils ne votaient pas seulement pour les élections présidentielles mais également pour les législatives et régionales. Pourquoi ces trois élections ont-elles lieu en même temps ?

Il s’agit d’une tradition démocratique chilienne que d’élire le Président de la République en même temps que les députés et que quelques sénateurs. Il semblerait que l’un des objectifs est de donner, dans la mesure du possible, une majorité parlementaire au nouveau Président. S’agissant des élections régionales, elles visaient à élire les conseillers régionaux. Ces conseillers sont élus au suffrage universel depuis 2013 et il a été jugé opportun qu’ils le soient en même temps que le Président, les députés et une partie des sénateurs. 

Le second tour est prévu le 19 décembre prochain, comment s’annonce-t-il ?

Quand on regarde l’histoire récente du pays (1990-2020), le candidat qui gagne le premier tour, est élu au deuxième tour sans exception. D’autre part, la tendance actuelle montre que la population cherche un rétablissement de la paix sociale après deux années très instables politiquement parlant et dures pour l’économie et pour les familles les plus vulnérables. La crise du covid a bien évidemment été un facteur aggravant.

Ce sera un deuxième tour sans doute très serré et intéressant mais pour lequel le candidat de la droite est favori. Certains analystes respectés ont déjà prévu la victoire de José Antonio Kast, même si, compte tenu la situation « très liquide » de la politique du pays, tout peut arriver !

Bernard Garcia Larrain, juriste franco-chilien.

[1] En termes d’inégalités de revenus. Source : https://data.oecd.org/fr/inequality/inegalite-de-revenu.htm

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